Général Idi Amin Dada: Autoportrait
Commandant en chef de l'armée ougandaise depuis 1964, le général Idi Amin Dada ravit le pouvoir au président Obote en 1971, par un coup d'Etat. Il se considère comme «le plus grand chef d'Etat du monde» et le prouve en se faisant nommer président à vie en 1976. Fort de maximes politiques aussi significatives qu'«on ne court jamais plus vite qu'une balle», il devient rapidement célèbre pour sa cruauté...
Comment filmer un dictateur tout en dépassant le réquisitoire attendu ? En le prenant à son propre piège, répondait ce documentaire fameux, sous-titré, à juste titre, « Autoportrait ». Le conquérant Barbet Schroeder, bien connu pour ses films au bout du monde et de l'humain, s'attaquait là à une montagne : le général Idi Amin Dada, despote criminel qui régna de 1971 à 1979 en Ouganda. En fin stratège, Schroeder a su se faire accepter et mettre le chef d'Etat totalement en confiance pour qu'il puisse faire son plus beau numéro d'acteur. Théâtre d'opérette, opéra-bouffe, pantalonnade, il n'est question que de ça dans ce spectacle où Amin Dada occupe seul la scène en révélant de manière paroxystique son vrai visage. Entre une excursion en pirogue sur le fleuve, une garden-party et diverses parades militaires, on découvre un colosse totalement ubuesque, passant de la pure grivoiserie (entouré de ses multiples enfants, il plastronne : « Je suis un très bon tireur ! ») à l'intimidation la plus inquiétante. C'est en affichant un large sourire que l'histrion redoutable, antisémite décomplexé, tricote son idéologie fumeuse. Il s'avère en revanche nettement plus terrorisant lors d'un conseil des ministres surréaliste où il sermonne son équipe toute penaude. Une faute, et c'est le peloton d'exécution ! On croît rêver : sommes-nous toujours dans un documentaire ou dans la fiction ? Celui qui a tout récemment inspiré une autre vision, dans Le Dernier Roi d'Ecosse avec Forest Whitaker, est ici une caricature diablement vivante ayant un sens inné de la mise en scène. C'est d'ailleurs le mot-clé du film, Schroeder pointant habilement tout ce qu'il faut d'organisation (même rudimentaire) et de représentation pour faire une dictature.
Jacques Morice, Télérama