Crazy Heart
A 57 ans, Bad Blake, chanteur de country, vit toujours sur la route, jouant des vieux hits dans des bars de troisième zone et des salles de bowling. Ce qui lui reste de célébrité disparaît peu à peu. Le mieux qu'il puisse espérer aujourd'hui, c'est de faire la première partie de Tommy Sweet, qui fut son jeune protégé et à qui il a tout appris.
De petit concert en petit concert, la route de Bad suit son cours, jusqu'au soir où il fait la rencontre de Jean, journaliste locale…
« J'ai joué malade, ivre, divorcé et en cavale. De toute ma vie, je n'ai jamais loupé un concert. » Le coup du chanteur de country sur le retour, alcoolo pour oublier ses quatre mariages foirés et sa carrière en berne et qui reprend goût à la vie en tombant amoureux d'une jeunesse, on nous l'a déjà fait. Les perdants magnifiques, les histoires de rédemption, Hollywood en raffole, surtout à la veille des Oscars. Pourtant, dès qu'on fait la connaissance de Bad Blake (génial pseudo !), on oublie sur le champ ses préventions. Le mérite en revient au formidable Jeff Bridges, dans son meilleur rôle depuis The Big Lebowski. Qu'il biberonne sa bouteille de McClure au saut du lit dans un motel miteux ou honore en titubant sa tournée des bars et bowlings du Deep South, tel un « Dude » lâché par ses potes, Bridges apporte le vécu et l'ironie nécessaires. A l'instar d'Eastwood dans Honkytonk Man, il interprète lui-même les chansons (pas mal du tout) écrites pour le film. Et avale les kilomètres d'autoroute au volant d'un corbillard « rouille métallisée ». Un majestueux plan large cadre la minuscule voiture de Blake, seule sur sa voie, croisant, sur la file opposée, l'immense cohorte des véhicules anonymes. Solitude du saltimbanque, éternellement à contre-courant.
Jérémie Couston, Télérama