Pourquoi le Liban - 3 films de Danielle Arbid
Pourquoi le Liban - 3 films de Danielle Arbid mercredi 30 octobre à 19H30 en présence de la réalisatrice d'origine libanaise ! Réservations conseillées !
- SEULE AVEC LA GUERRE (2000 - 58mn) :
« Beyrouth est une ville formidable. On se croirait au centre de tout. À Beyrouth, entre 1975 et 1990, il y avait une guerre civile, c’est-à-dire que tout le monde voulait exterminer tout le monde. Elle s’est arrêtée un jour, comme ça, après avoir gangrené nos vies. J’ai voulu filmer le vide qu’elle a laissé… » - AUX FRONTIERES (2002- 59mn) :
« J’ai passé 4 semaines, 3 nuits et 2 jours à tourner autour d’un pays qui porte deux noms: Israël / la Palestine. Je n’ai jamais traversé ses frontières. Je l’ai regardé comme ceux qui le regardent de l’extérieur, qui le fantasment, le méprisent ou l’adorent. Mon film suit mes errances… » - UN TUEUR (2023-15mn) :
« J’ai rencontré Mohamad A. en 2000, j’ai passé des mois à l’écouter me raconter comment il a combattu et tué. Je voulais, à travers lui, savoir si moi aussi j’aurais tué pendant cette guerre. Pendant qu’il parlait, j’ai baissé ma garde morale. Je n’avais plus aucun sens critique. J’avais même de l’empathie pour lui, un tueur. »
Du Liban à la Syrie en passant par la Jordanie et l’Egypte, SEULE AVEC LA GUERRE (récompensé par de nombreux prix dont le Léopard d’Argent vidéo au Festival de Locarno en 2000 et le Prix Albert-Londres audiovisuel en 2001) et AUX FRONTIERES nous emmènent dans les coulisses d’une région meurtrie par les guerres civiles. En confrontant les habitants de Beyrouth à un passé volontairement enfoui et en arpentant les routes accidentées du Moyen-Orient, la réalisatrice d’origine libanaise Danielle Arbid (UN HOMME PERDU, DANS LESCHAMPS DE BATAILLE) réveille des souvenirs douloureux et tente de cerner un monde qu’elle ne comprend plus vraiment.
D’origine libanaise, Danielle Arbid réalise des films depuis 1997. Ses films de fiction, Passion simple (adaptation du livre éponyme d’Annie Ernaux, 2021), Peur de rien, Un homme perdu, Dans les champs de bataille, ont été sélectionnés dans les plus grands festivals internationaux (Cannes, San Sebastian, Toronto, New York, Busan, Tokyo…) et reçu de nombreux prix. Elle a aussi été récompensée par le Léopard d'or vidéo au festival de Locarno pour la série Conversations de salon, et par le Léopard d'argent pour Seule avec la guerre, également prix Albert-Londres en 2001.
"Septembre 1988. J’ai 18 ans. J’habite depuis quelques semaines à Paris. Je suis sur le quai de la ligne 7 avec une de mes nouvelles amies de la fac, quand elle s’exclame en voyant le métro : « Il est toujours en retard et blindé. C’est choquant quand même ! » Sur le coup, je trouve l’expression excessive. Elle ne colle pas du tout à ce monde en paix où je venais d’atterrir.
Moi, j’étais choquée par les bombardements, les enlèvements, les voitures piégées et les disparitions… Et encore, au bout de quinze ans de guerre civile libanaise, le choc s’est atténué et on en parlait comme d’une fatalité. Notre monde à nous… J’allais expliquer tout cela à ma nouvelle amie, mais je me suis retenue. Je ne voulais pas qu’elle me prenne pour un sujet exotique, ni qu’elle ait pitié de moi. Je venais de débarquer et je n’avais qu’une idée, rayer tous ces souvenirs de ma tête, et lui ressembler.
Encore aujourd’hui, je me demande si mon enfance au Liban n’était pas une fiction, tant elle n’a rien à voir avec mon présent. Présent assombri depuis quelques mois par la guerre en Ukraine. La guerre s’approche à nouveau, et ça me terrifie…
Même après tout ce temps, quand je retournais à Beyrouth, je percevais la guerre partout, gravée dans chaque pierre, sur chaque mur, chaque visage. Et je serais allée au bout du monde pour l’effacer de ma mémoire. D’ailleurs je n’y retourne plus, ni au Liban, ni dans cette région funeste. Je n’aime pas le Moyen-Orient. C’est un monde où les guerres succèdent aux guerres et les morts aux morts. Et personne n’a jamais été jugé. « Rien ne revient de ce qui a été détruit, rien ne renaît, ni les hommes disparus, ni les bibliothèques brûlées, ni les phares engloutis, ni les espèces éteintes, malgré les musées, les commémorations, les statues, les livres, les discours, les bonnes volontés, des choses en allées il ne reste qu’un vague souvenir, une ombre qui plane… », écrit Mathias Enard dans Zone.
Alors, je fais des films pour réinventer les phares engloutis et faire vivre coûte que coûte les ombres qui planent. Et certaines nuits, je les vois… Je rêve que j'habite un de ces immeubles de Beyrouth. La guerre n'a pas encore eu lieu. Je regarde la ville de ma fenêtre. Les cent cinquante mille morts sont toujours vivants. Ils dorment, à cette heure-ci, dans leurs lits, dans leurs maisons. Je les ai croisés. Dans ce pays, les immeubles ressemblent à de vrais immeubles, sans trous, ni traces de balles. Et les miliciens ne sont pas encore des miliciens. Ils n’ont pas encore perdu leur innocence. La guerre n'est qu'un lointain cauchemar. La guerre n'aura pas lieu."
-Danielle Arbid