L'Homme tranquille
Un boxeur américain revient dans son Irlande natale après avoir accidentellement causé la mort d'un adversaire au cours d'un combat. Désireux de s'installer à Innisfree, il parvient à acheter une maison et un terrain, s'attirant ainsi le ressentiment d'un autre potentiel acquéreur, dont il va très vite vouloir épouser la sœur…
Le grand retour de John Ford en Irlande, peinte ici dans des couleurs admirables. Plus qu'aucun autre des cinéastes de sa génération, Ford a su jalonner sa carrière de « petites cosmogonies portatives » qui résument à un moment donné et en un· seul film tout son univers, toute sa vision-du monde, ses idées, ses manies et ses thèmes. Il a lui-même décrit son film comme sa « première love story ». C'est qu'en effet l'amour entre Sean et Mary Kate et les obstacles qu'il rencontre pour s'incarner dans un rituel social sont l'essentiel du film. Autour de cet amour, le monde tel que le voit Ford se recrée tout entier : les traditions, les coutumes, les conventions y ont une importance capitale. Elles sont le lien entre l'individu et le groupe, entre le moment présent et !'Histoire (sinon l'éternité). Les rompre ou les mépriser reviendrait à se condamner soi-même à la solitude, à l'exclusion, à l'exil. Le héros en est parfaitement conscient : le futur qu'il se bâtit renoue avec son passé et ainsi la boucle est bouclée. Quoique l'un des plus drôles de Ford et l'un des plus agréables à l'œil, le film a aussi sa gravité et ses abîmes cachés. Il ne faut pas oublier que le héros accomplit ici sa retraite et qu'il se lance, à ses risques et périls, dans une seconde existence. À ses yeux, la première a été un échec et c'est une sorte de baume magique, d'eau lustrale qu'il est venu chercher à ses sources irlandaises. Ford lui accorde cette deuxième chance et le film est tout à la fois le portrait d'un ressuscité, le portrait d'un pays à demi rêvé par son auteur et, bien sûr, le portrait de cet auteur lui-même. Ford reste ici partagé de façon permanente entre une fabuleuse passion pour la vie et une sensibilité extrême à son tragique, à ses infinies possibilités d'échec.
Jacques Lourcelles, Dictionnaire des Films