La Montagne
Pierre, ingénieur parisien, se rend dans les Alpes pour son travail. Après un coup d’œil par la fenêtre, il décide de partir vers la montagne… Un sommet d’audace et de sensibilité, un émerveillement de bout en bout !
En lien avec Into the Wild, de Sean Penn
Prix SACD à la Quinzaine des Réalisateurs 2022
Prix Ciné+ et Prix du Public au Paris International Fantastic Film Festival 2022
L’ivresse des sommets, La Montagne ne l’offre pas sans effort. Le nouveau film de Thomas Salvador, sept ans après Vincent n’a pas d’écailles, commence sur le plancher des vaches au sens propre comme figuré, avec une scène récurrente du cinéma français au ras des pâquerettes : l’assommante présentation powerpoint entre collègues. Pierre y a la parole, mais son œil est happé par les sommets qu’il aperçoit par la fenêtre. On ignore ce qu’il distingue exactement, mais ce regard furtif est comme un coup de foudre. Une fois la réunion terminée, Pierre trouve un prétexte pour abandonner ses collègues et éviter de rentrer chez lui, comme si quelque chose l’appelait irrésistiblement tout là-haut. On croit avoir déjà vu cette histoire de retour à la nature d’un citadin lassé de la société de consommation. On a tort, car La Montagne possède un versant bien plus mystérieux. Versant qui se laisse désirer et qui ne s’offre pas tout de suite. Joué par le réalisateur lui-même, Pierre est paradoxalement omniprésent et quasi absent : il est bel et bien dans chaque scène, mais son jeu volontairement très neutre slalome autour du réalisme sans clairement s’y coller. C’est dans les scènes sans personnages et sans dialogues que La Montagne en impose d’abord : dans ces plans muets aux ciels bleus incroyablement perçants et faits pour les grands écrans, Salvador parvient à retranscrire l’imposante et étrange majesté des hautes montagnes. Ces images récurrentes sont splendides mais toujours presque trop courtes, et on finit par se demander ce que le film cherche à offrir outre sa subtile élégance. Ce qu’offre La Montagne, c’est une forme de grâce. Mieux vaut en savoir le moins possible sur ce que l’on aperçoit, une fois atteintes les cimes visées. Le film semble alors quitter le sol, laisser très très loin derrière lui le réalisme des premières scènes pour mieux atteindre des sommets rarement foulés par le cinéma français. Les dialogues laissent alors une imposante place aux silences, le quotidien des humains à une ambitieuse fable écologique. On hallucine avec émerveillement, et ce n’est pas un effet du manque d’oxygène. Thomas Salvador possède sa propre interprétation du fantasme d’aller se fondre dans la nature, et lui donne chair à travers des images tout simplement sidérantes. Cette parenthèse hors du monde, digne d’être décidément gardée sous le sceau du secret pour ne pas en gâcher la découverte, La Montagne ne s’en remet pas sans peine. Il lui faut quelque temps pour retrouver sa respiration dans la redescente. D’abord gauchement greffée, l’intrigue parallèle centrée autour d’un personnage interprété par Louise Bourgoin retombe finalement sur ses pattes à mesure que son personnage devient enfin autre chose qu’une hôtesse souriante aux services du héros. On regrette presque que le film et nous-mêmes devions ainsi redescendre sur la terre ferme, comme un réveil brusque à la fin d’un rêve, mais ces hésitations n’entament pas l’ivresse de l’ahurissant voyage effectué jusqu’alors.
Nicolas Bardot, lePolyester