The Souvenir: Part II
Enfin débarrassée d'Anthony, dont elle a eu toutes les peines du monde à venir à bout, Julie tente doucement de se reconstruire, sans toutefois omettre de continuer ses recherches sur cet homme machiavélique, capable de s'inventer une existence entière pour simplement assouvir ses besoins en drogues. Alors que se profile la fin de son cursus d'études, la jeune femme réfléchit au thème à mettre en avant dans son film pour l'examen final. Elle ne tarde pas à comprendre que son histoire personnelle ferait un sujet idéal pour cette occasion, en plus de lui fournir un point final en donnant des réponses à toutes ses interrogations...
Il y a quelque chose de fou et d’inédit dans cet échafaudage. La réalisatrice anglaise qui l’a imaginé, aujourd’hui sexagénaire, s’inspire de sa jeunesse, au début des années 1980. Elle aurait vécu, alors étudiante en cinéma, une relation douloureuse avec un homme séduisant, soit-disant diplomate, mais désespérément toxicomane et le dissimulant. Un homme capable de dire, comme un compliment affectueux et empoisonné : « Tu es paumée et tu seras toujours paumée. » Cette histoire-là est racontée dans The Souvenir, Part I. L’éclat du résultat montre que formalisme et émotion vont parfois très bien ensemble : au gré des scènes et des sentiments qui les imprègnent, Joanna Hogg passe de la limpidité au baroque, oscille avec grâce entre épure et onirisme.
Le plus extraordinaire tient pourtant à la relecture des mêmes événements dans The Souvenir, Part II. Nous voilà, cette fois, juste après la fin tragique de la liaison. Et l’étudiante se bat pour consacrer son premier film à cette histoire qui vient de la briser. Geste libérateur que Joanna Hogg, elle, n’a pas su faire à l’époque – elle n’a tourné son premier long métrage que dans sa quarantaine, en 2007. On découvre donc les coulisses , au sein d’une école de cinéma, de la reconstitution du drame intime relaté dans le premier volet. Jusqu’à l’appartement étroit où la jeune héroïne habite encore, mais qui est reconstruit à l’identique dans un hangar pour les besoins de son tournage…
Le vertige est total : le cinéma vient réécrire, quarante ans après, une vie qui aurait pu être toute différente. La catharsis se produit à la fois dans le passé, grâce à la fiction, et aujourd’hui, compte tenu de l’existence même de ce dytique. Un tourbillon délicat mélange réminiscences mortifères et rêveries réparatrices. La réalité et sa représentation féerique ne font plus qu’un. Un effet de miroitement supplémentaire tient à la présence de Tilda Swinton, amie de jeunesse de Joanna Hogg, dans le rôle de la mère – composition remarquable de subtilité. La star écossaise joue ainsi face à sa propre fille, Honor Swinton Byrne, le double romancé de la cinéaste, tout le temps à l’image, et s’affirmant d’emblée comme une grande actrice singulière.
Louis Guichard, Télérama