Le secret de Brokeback Mountain
Eté 1963, Wyoming. Deux jeunes cow-boys, Jack et Ennis, sont engagés pour garder ensemble un troupeau de moutons à Brokeback Mountain. Isolés au milieu d'une nature sauvage, leur complicité se transforme lentement en une attirance aussi irrésistible qu'inattendue. À la fin de la saison de transhumance, les deux hommes doivent se séparer. Ennis se marie avec sa fiancée, Alma, tandis que Jack épouse Lureen. Quand ils se revoient quatre ans plus tard, un seul regard suffit pour raviver l'amour né à Brokeback Mountain.
Présenté comme un western gay, Brokeback Mountain est en réalité un film extrêmement viscéral. L’impression qu’il provoque est d’autant plus forte qu’on ne s’attend pas à être autant bouleversé par une histoire d’amour qu’on pourrait croire anodine et qui, en fait, tutoie le sublime. Alors que, pendant toute la première partie, on a l’impression que le scénario dynamite les us et coutumes d’un genre balisé (le western), on se rend compte très vite que la suite raconte une autre histoire : celle d’un amour sans limite qui ne s’est jamais fini, de sentiments de lâcheté vis-à-vis de la morale bien-pensante, d’étreintes sensuelles et violentes qui trahissent l’absence comme l’attente et, surtout, du refoulement de pulsions.
Le film semble témoigner d’un mépris radical pour les étiquettes. Ang Lee, cinéaste définitivement surprenant, recherche ici, dans un genre a priori obsolète et balisé (le western), un moyen de décortiquer une société phagocytée par les apparences et l’uniformité. Le scénario commence dans la nonchalance d’une relation nouvelle, d’un amour qui commence à se faire, avec son cortège d’œillades enflammées et de gestes maladroits, et dessine les prémisses d’une liaison entre deux hommes. C’est le produit d’une attirance réciproque facilitée par l’isolement.
Seulement, ce qui aurait dû n’être qu’une passade se révèle très vite un besoin urgent et vital. Petit à petit, les deux hommes réalisent qu’un lien extrême naît entre eux mais que la barrière sociale du conformisme empêche cette relation et l’oblige à être vécue de manière cachée. Quitte à mener sa propre vie à côté, à fonder une famille, à garder le mensonge et à vivre avec ce joug. Acteurs en état de grâce, intelligence suprême du scénario, complexité des sentiments, somptuosité formelle... Pas de doute possible : Le secret de Brokeback Mountain est une œuvre d’une beauté infinie qui fait exploser à l’écran le vécu de chacun.
Romain Le Vern, AVoir ALire