El Chuncho
Mexique, années 1910. Alors que la révolution bat son plein, El Chuncho, moitié bandit moitié guérillero, s’est spécialisé dans les attaques de train. Il vole des armes et les revend à un révolutionnaire, le général Elias, contre de fortes sommes d’argent. Au cours d’un de ces assauts, Chuncho trouve une aide inattendue de la part d’un jeune dandy américain qui se trouvait à bord du train. « El Niño » rejoint la troupe des guérilleros et gagne rapidement la confiance de leur chef. Mais les motivations du yankee restent troubles…
El Chuncho représente une date importante dans l’histoire du cinéma italien. Le film de Damiano Damiani sorti en 1967 inaugure, en effet, une série de westerns mettant en scène la révolution mexicaine conçue comme une allégorie des luttes anti-impérialistes du Tiers-Monde. Au-delà de cela, il incarne de façon exemplaire une manière inimitable, typique du meilleur de la production transalpine du moment, à mêler le spectaculaire et la réflexion, un lyrisme un peu trivial et une vision dialectique volontiers abstraite.
A l’origine, il y a une petite société de production d’Emilie-Romagne, la MCM dirigée par Bianco Manini, un scénario signé Salvatore Laurani et un réalisateur, le très sous-estimé Damiano Damiani, jusqu’à présent surtout auteur d’adaptations littéraires au cinéma (L’Ile des amours interdites d’après Elsa Morante, L’Ennui et sa diversion l’érotisme d’après Alberto Moravia). Damiani confie le scénario à Franco Solinas qui lui donnera, avec l’aide du cinéaste, sa version définitive, imposant au récit une dimension politique non exempte de résonances avec l’histoire contemporaine.
El Chuncho reste un des plus fascinants exemples de cette recette. Le génial cabotinage de Volontè, qui rendit la vie dure au cinéaste durant le tournage, le jeu tout en nuances de Castel, décrivent un rapport complexe entre deux individus a priori antithétiques – rapport compliqué par ce processus de prise de conscience qui caractérise les personnages d’un cinéma qui se veut alors politiquement édifiant. Mais cette prise de conscience est ici imparfaite, tortueuse, insaisissable pour les protagonistes. Quien sabe ? (Qui sait ?) est d’ailleurs le titre original d’un film illustrant l’aveuglement de ceux qui se révèlent, un temps, incapables de comprendre le sens historique de leurs propres actes.
Le film de Damiano Damiani est un fabuleux spectacle baroque et didactique, une fresque picaresque et distanciée en même temps, éclairée par la photographie somptueuse de Toni Secchi et soutenue par la musique de Luis Bacalov et d’Ennio Morricone.
Jean-François Rauger, Le Monde