Parasite
Toute la famille de Ki-taek est au chômage, et s’intéresse fortement au train de vie de la richissime famille Park. Un jour, leur fils réussit à se faire recommander pour donner des cours particuliers d’anglais chez les Park. C’est le début d’un engrenage incontrôlable, dont personne ne sortira véritablement indemne...
La Palme d'or 2019, du Coréen Bong Joon-Ho, est un immense film. Un mélange de genres, entre satire sociale, huis clos angoissant et thriller haletant, un film imprévisible, virtuose, fluide et éminemment politique.
Bong Joon-ho aime les mélanges et l’impureté. Depuis plus de vingt ans, il fouille les poubelles de son pays pour les emballer dans des films enragés, punks et passionnants. Memories of Murder, entrelaçait le thriller et la chronique rurale en racontant la poursuite d'un tueur en série par une bande de flics de campagne consternants. The Host était un film de monstre qui faisait dans la satire politique, le mélo familial, le tract écolo warrior et la comédie. Mother ? Un drame familial construit comme un mille-feuilles avec une couche de mélo filial, une autre de métaphore sociale et une parabole psychanalytique comme glaçage.
Des genres et des tonalités différentes mais à chaque fois un même schéma. A partir de l’observation de drames humains riquiquis, Bong Joon-ho construit des fictions explosives qui échappent à la norme. Il réinvestit les genres pour mieux les dissoudre, les concasser, et faire surgir à la place un objet grandiose et grotesque, kafkaien et terrifiant, malaxant des ingrédients et des références a priori incompatibles. Après ce tiercé démentiel, Bong avait tenté sa chance en langue anglaise avec Le Transperceneige et Okja deux superproductions internationales où sa puissance de feu se diluait un peu. Parasite apparaît donc d’abord comme un retour aux sources : en Corée et à sa critique dialectique et littérale du « Korean Dream ». Comme Memories of Murder, The Host et Mother, Parasite traque les monstres qui prospèrent sur l’amnésie des années de dictature, la corruption et un capitalisme destructeur.(...)
Comme dans ses films précédents, Bong s’amuse donc avec les genres, reprenant les codes du home invasion, construisant un simili film de casse (avec recrutement des membres et mise en place d’un plan infaillible) et troussant une farce où les chamailleries de la famille deviennent le ressort de scènes de comédie d'un film qui est au fond aussi drôle qu'inquiétant. Car, malgré l’humour dévastateur du début, Parasite devient vite un film à suspens où la tragédie le dispute à la bouffonnerie : quand le destin s’abat sur cette maison de rêve le film bifurque vers la métaphysique et l’absurde kafkaïen. Tout cela est comme toujours chez le cinéaste, mis en boite avec une maestria furieuse : les lents travellings dans la maison, la photographie glacée et luxuriante, le jeu subtil des acteurs entre agitation et hébétude, l'efficacité cinglante des cadres et la structure quasi théâtrale de la dramaturgie font de ce Parasite une oeuvre jubilatoire en même temps qu'un instrument critique redoutable. Bong Joon-ho décrit un monde (le notre) qui, privé d'idéal politique crédible et de toute vision morale des rapports humains, retourne à la sauvagerie dont il avait cru péniblement s'extirper et s’enferme dans une spirale dont on ne sortira qu’amputé. Le désossage des travers du capitalisme et de la puissance aliénante du fric innerve une épopée aux soubresauts virtuoses. (...)
Gaël Golhen, Première