Atlantique
Souleiman et Ada sont amoureux. Mais Ada est promise à un autre et Souleiman décide de rejoindre l’Espagne avec ses camarades. La tempête aura raison de la pirogue. Les morts vont alors hanter les vivants pour qu’ils paient leur dû. Conte moral à l’esthétique superbe, Atlantique offre une belle revanche à ceux dont l’Europe ne veut plus.
Des ouvriers réclament leurs salaires qui n’ont pas été versés depuis des mois. Dégoûtés, ils décident de prendre la mer pour tenter leur chance en Europe. Parmi eux, le jeune Souleiman qui est l’amoureux de la belle Ada, elle-même promise à un autre, plus riche, par ses parents. La mer peut être impitoyable et le quartier apprend très vite la catastrophe, la pirogue a coulé avec ses occupants. A partir de ce moment, des événements étranges vont perturber toute la ville. La police enquête, à la recherche de Souleiman qui serait vivant et de retour.
Le Dakar de Mati Diop, fantasmatique la nuit, cacophonique le jour, semble emprisonné entre une mer, barrière infranchissable – que la caméra prend bien soin de montrer plus oppressante et hypnotique que belle et poétique – et une tour gigantesque, menaçante, nimbée par un brouillard de pollution. Ce Dakar-là semble avoir été noyauté par les femmes qu’on rencontre partout. Ce sont elles les caractères forts, qui résistent et vont réclamer justice pour leurs amis et maris morts en mer. La musique de Fatima Al Qadiri, magnétique, mâtinée de fortes sonorités traditionnelles, accentue l’atmosphère fantastique, souvent oppressante, dans laquelle baigne Atlantique. Mati Diop renouvelle astucieusement le thème de la sorcellerie et de la magie qu’on trouve souvent dans le cinéma africain, oubliant les sorciers et les gris-gris, pour faire occuper les corps des femmes par les âmes de leurs hommes disparus. Enfin, la jeune Ada sera le fil d’Ariane qui va nous guider dans le labyrinthe dakarois. S’étant enfin libérée du carcan de ce mariage arrangé, marchant avec assurance, elle nous rappelle la belle Anta de Touki Bouki du regretté Djibril Diop Mambety. Atlantique reste comme une tendre évocation de la solidarité féminine et un bel hommage à la jeunesse africaine.
Pour son premier long-métrage, la réalisatrice franco-sénégalaise Mati Diop réussit le tour de force de conjuguer le politique et le sensible, les combats sociaux et le charnel, le réalisme et le fantastique.
Grand Prix du festival de Cannes en 2019.
Il est ainsi des films qui marquent d’emblée la rétine et occupent l’esprit longtemps après l’avoir touchée. Atlantique est de ceux-là qui fait son effet puis chemine à pas feutrés vers une digestion lente de ce qu’il a distillé. La beauté pure d’une histoire d’amour, la puissance d’une fable politique, le trouble d’un conte peuplé de fantômes réunis en un seul geste, dirigé par un élan vital qui a valeur de signature. Le film de Mati Diop s’est bâti sur le temps et l’intimité d’un parcours. Il en porte la trace avec élégance.
Thomas Sotinel, Le Monde