LE HAVRE
Marcel Marx a remisé ses ambitions et ses succès d'écrivain, autant que sa vie de bohême. Il s'est installé au Havre, dans un vieux quartier, en compagnie d'Arletty, qui partage sa vie, et de sa chienne Laïka. Il gagne maintenant sa vie en cirant des chaussures à la gare. Il est témoin de la découverte par la police d'un container rempli de clandestins africains. Un enfant parvient à s'échapper. Marcel part à la recherche du gamin et, lorsqu'il l'a retrouvé, l'héberge. Le petit Idrissa veut rejoindre sa mère en Angleterre. Mais comment ? Marcel et tout le quartier vont lui venir en aide, tandis que l'ambigu commissaire Monet et un détestable voisin rôdent dans les parages...
C'est la première fois que Kaurismaki confronte ainsi son univers de fable à une forme d'actualité brûlante : la France d'aujourd'hui, avec sa répression, ses centres de rétention, ses clandestins traqués. Le Finlandais n'a pas pris pour autant un habit de militant. Il reste ce drôle d'artisan artiste qui se décale pour dépeindre le monde de manière burlesque. Un peu poète, un peu peintre - à l'image de son Marcel, qui a l'air de trimballer un chevalet dans son barda. Lui aussi se tient à l'écart, du moins jusqu'à sa rencontre avec Idrissa. La perdition de ce gamin le pousse à l'offensive. La tâche est ardue, les pièges sont multiples. Comme à son habitude, Kaurismäki décrit un monde cruel, mais, à la différence de ses autres films, ici les méchants, tapis dans l'ombre comme ce délateur (Jean-Pierre Léaud), sont moins efficaces. Ce qui domine, c'est l'élan inattendu et spontané de solidarité clandestine. De l'épicier à la boulangère, chacun y va de son petit geste. (...)
Il y a surtout Le Havre, ville portuaire, mais aussi ville de la modernité quadrillée, façon Playtime, de Tati. Kaurismaki a trouvé là-bas un décor idéal. Un casting idéal, aussi. Il a fait appel aux gars du coin, reconnaissables dans les scènes de bistrot - ça ne s'invente, pas ces trognes de Normands pur jus. Il a surtout invité une légende locale vivante, Roberto Piazza himself, plus connu sous le nom de Little Bob, pionnier du rock et du rhythm'n'blues en France. Il apparaît d'abord en ombre chinoise magnifique, au comptoir d'un bar. Avant de prendre le micro sur scène, offrant une chanson live rien que pour nous. À travers sa voix, c'est déjà l'Angleterre que l'on entend, pays si proche qu'Idrissa veut justement rejoindre.
Jacques Morice, Télérama