À Peine J'ouvre Les Yeux
Tunis, juste avant la chute du président Ben Ali. Farah vient d’avoir son bac, rêve de musique et joue dans un groupe de rock contestataire. Elle aime, boit et chante dans des cafés où il n’y a que des hommes. Sa mère a peur et voudrait la protéger contre elle-même. Leyla Bouzid nous offre un film d’une vivacité incroyable et, d’une certaine manière, un hommage à une jeunesse qui voudrait vivre, elle aussi.
Une jeunesse tunisienne
Été 2010. Farah vient de réussir son bac avec mention. Sa famille fait la fête et la voit déjà étudier la médecine. Mais ce n’est pas ce que voudrait la jeune fille qui chante dans un groupe de rock contestataire et rêve de faire musicologie. Alors elle sort la nuit, malgré les promesses faites à sa mère, boit et chante, aime, enfin, Borhène, le parolier et leader du groupe. Elle fait tout cela avec la fougue et l’énergie de la jeunesse. Sa mère essaie bien de la brider en l’absence de son père qui travaille loin de Tunis. Mais rien n’y fait, elle veut vivre, à l’image de toute une jeunesse qui supporte de moins en moins la police secrète de Ben Ali. Celle-ci commence à s’intéresser à ce groupe qui prend trop de libertés: des concerts sont annulés et un ami de sa mère, la prévient: sa fille est en danger elle aussi. Hayet décide alors d’envoyer Farah à Gafsa, rejoindre son père. Au moment de prendre le taxi collectif, Farah disparaît. Leyla Bouzid insuffle autant d’énergie dans son premier film que la jeune Baya Medhaffer met à incarner son personnage de Farah. La caméra de Sébastien Goepfert suit le mouvement avec la même fougue, captant les envies de liberté de la jeune fille et de ses amis avec une maestria remarquable. À peine j’ouvre les yeux est un film fait de coups de poing, où s’opposent les émotions des protagonistes du récit. Aux envies de vivre de la fille, la mère répond par l’inquiétude et la crainte, donnant l’image d’une femme conservatrice. Puis, tout bascule avec la disparition de sa fille, une autre femme apparaît, courageuse, prête à mordre. Leyla Bouzid saisit et met en scène ce changement d’atmosphère, où l’angoisse prend le pas sur l’envie de vivre, avec autant de justesse qu’elle suivait les escapades des jeunes gens. Quelques mois avant la chute du président Ben Ali, voici un superbe instantané du climat régnant en Tunisie. Pas de démonstration, juste du beau cinéma.
Martial Knaebel, Trigon Film