Les mille et une nuits, volume 3: L'Enchanté
Où Schéhérazade doute de pouvoir encore raconter des histoires qui plaisent au Roi, tant ses récits pèsent trois mille tonnes. Elle s’échappe du palais et parcourt le Royaume en quête de plaisir et d'enchantement. Son père, le Grand Vizir, lui donne rendez-vous dans la Grande Roue. Et Schéhérazade reprend : « Ô Roi bienheureux, quarante après la Révolution des OEillets, dans les anciens bidonvilles de Lisbonne, il y avait une communauté d’hommes ensorcelés qui se dédiaient, avec passion et rigueur, à apprendre à chanter à leurs oiseaux... ». Et le jour venant à paraître, Schéhérazade se tait.
Le long fondu enchaîné ouvrant le film transforme une danseuse de rue en fantôme qui hante les pensées du père de Shéhérazade, lui qui crut en la voyant reconnaître son épouse. Un fondu = une apparition : tout est dit de la croyance que voue Miguel Gomes aux moyens du cinéma pour transfigurer le monde. On reste ébloui par la façon dont le cinéaste récapitule les moyens du cinéma. Réussir à filmer les chantiers navals, les femmes, les paysages, et les animaux avec chaque fois, une idée de cinéma époustouflante. Parvenir ainsi à donner au spectateur à penser aux frères Lumière, à Georges Méliès, au cinéma burlesque ou d’aventure, aux essais de Chris Marker… On avait cessé d’en attendre autant ! L’on donnerait bien des films, par exemple, en échange de cet unique plan dans lequel la conversation de Shéhérazade et de son père est filmée dans un manège décrivant des circonvolutions dans les airs qui font défiler le paysage sous nos yeux.
Solaire, la première partie de ce dernier acte saute d’une vision de Shéhérazade à une autre, et parcourt une Bagdad à la lumière somptueuse recréée dans les calanques de Marseille sur laquelle souffle un Mistral personnifié par un génie du vent. Les divagations de la princesse font sauter comme par enchantement d’une légende à une autre : celle de Paddleman le très fécond, dont la beauté est gâchée par la stupidité au point qu’on lui demande de se taire ; celle du voleur Elvis. Si l’on s’attendait à être ravi par les légendes, on n’avait pas imaginé le film littéralement enchanté, au sens en-chanté de Jacques Demy. Car c’est bien d’une comédie musicale qu’il s’agit, où se suivent et se répondent chansons populaires et heavy-metal, pour clore sur le chant triste et virtuose des pinsons.
Raphaëlle Pireyre