The end of time

De Peter Mettler
Suisse, Canada - 2012 - vost - 141'
Synopsis
Défi à l’insaisissable sujet du temps et aux limites de ce qui peut être exprimé, "The End of Time" est un voyage d’exploration : de l’accélérateur de particules du CERN de Genève, où des scientifiques cherchent à étudier des zones du temps que l’on ne peut voir, aux coulées de lave qui ont tout englouti à Hawaï à part une maison sur la rive sud de la Grande île ; de la désintégration des quartiers déshérités de Detroit à un rite funéraire hindou près de là où Bouddha eut son illumination.

 

Critique

Canado-Suisse (il est né à Toronto en 1958, de parents émigrés), Peter Mettler est un «essayiste» qui explore cette voie encore peu empruntée du cinéma, ouverte jadis par Chris Marker. C’est aussi un contemplatif au processus créatif lent et à l’ego peu encombrant, un touche-à-tout qui ne dédaigne pas de mettre ses talents de chef opérateur et de designer sonore au service d’autrui (d’Atom Egoyan à Jennifer Baichwal). Autant dire un oiseau rare, qui fait du bien au 7e art.

Après trente ans de carrière, The End of Time est son premier film qui corresponde parfaitement à son propre «canon» d’auteur: un trip visuel et sonore aux quatre coins du monde, plus poétique qu’intellectuel, un jeu de libres associations à partir d’un thème donné. Il a fallu cinq ans de travail pour le réaliser, de la quête du financement au montage final. «Tout est parti de l’observation de nuages», s’est amusé le cinéaste en conférence de presse. «Mais à les filmer, c’est l’idée du temps qui s’est imposée. Tous mes films sont finalement des explorations autour d’une idée. Heureusement que je ne me rends jamais vraiment compte dans quoi je me lance! De la question de «qu’est-ce que le temps?», j’en suis plutôt venu à celle de notre perception du temps.»

A l’écran, sa réponse part d’images d’archives d’une expérience de saut en chute libre depuis la stratosphère (Joe Kittinger, en 1960) et s’annonce d’abord scientifique, à travers une visite aux physiciens du CERN à Genève. Mais la théorie de la relativité et la chasse aux sous-particules atomiques pour préciser celle du «big bang» ne sauraient le contenter. Et Mettler de saisir la première perche tendue («dans beaucoup de langues, le même mot désigne la dimension temporelle et le temps qu’il fait») pour partir divaguer ailleurs. Du côté de Hawaii, où une éruption volcanique dévastatrice rappelle la création de la Terre; de Detroit, dont la dramatique chute démographique évoque la courte durée de nos civilisations; de Bodh­gaya en Inde, haut lieu de pèlerinage bouddhiste, pour une réponse plus spirituelle; dans un concert expérimental et dans un observatoire astronomique aussi, sans oublier de repasser par son atelier à images.

«J’ai dû choisir parmi une longue liste de lieux et de sujets possibles, et les rencontres ont décidé du reste», explique le cinéaste. «En réfléchissant sur le temps, la question de la transcendance est venue d’elle-même, en prolongement de Gambling, Gods and LSD. Mais je me suis trouvé dans un sacré paradoxe, à évoquer la quête de vivre pleinement dans le présent à travers cette machine à remonter le temps qu’est le cinéma!» D’où sans doute la structure très travaillée du film, qui, malgré sa parole rare (peu d’interviewés) et sa voix off typiquement peu intrusive, n’est de loin pas que contemplatif: le montage et l’art des transitions, producteurs de sens, y côtoient la pure fascination (lenteur des coulées de lave, esthétique de la technologie, poésie des ruines, etc.).

Partant d’une citation de Dostoïevski trouvée dans un livre d’Andreï Tarkovski, le film se termine par une plongée vertigineuse d’images expérimentales façon 2001, l’odyssée de l’espace ou The Tree of Life, à base de motifs graphiques qui évoquent les mandalas aussi bien que les machines du CERN. Prétentieux? C’est mal connaître Mettler qui, s’il ne dédaigne pas le vertige, préfère conclure avec sa vieille mère «pour revenir à quelque chose de plus ancré dans le réel, de plus normal».

Norbert Creutz, Le Temps

Projeté dans le cadre de

Du 14 Septembre 2014 au 16 Septembre 2014
60e anniversaire du CERN