Pas son genre

De Lucas Belvaux
France - 2014 - vf - 111'
Synopsis

Clément, jeune professeur de philosophie parisien est affecté à Arras pour un an. Loin de Paris et ses lumières, Clément ne sait pas à quoi occuper son temps libre. C'est alors qu'il rencontre Jennifer, jolie coiffeuse…

Critique

Lucas Belvaux signe ici une superbe histoire d'amour, une comédie qui a du coeur et des larmes, qui parle du racisme des sentiments et des préjugés. Emilie Dequenne mène la danse, exceptionnelle, bluffante, l'émotion à fleur de peau, elle nous embarque. Et on reste sous le charme.

Danielle Attali, Le Journal du Dimanche

 

«Il y a les cinéastes qui filment les jambes et ceux qui filment les seins.» Je trouve cette observation de Lionel Baier (...) amusante et pertinente. Fellini filmait les seins. Truffaut les jambes. Je préfère les seconds aux premiers, peut-être parce que leurs héroïnes, échappant au statut de femme-tronc, sont plus mobiles, imprévisibles, indépendantes. Selon ce critère, Lucas Belvaux est clairement le cinéaste des jambes. Dans Pas son genre, adaptation du roman de Philippe Vilain, son héroïne est dans l’action, elle court d’un bus à l’autre, marche à l’amour et se tient debout même en avis de tempête.

Qui est cette fille? Elle s’appelle Jennifer (Emilie Dequenne, bouleversante). Elle est coiffeuse à Arras, vit seule avec son petit garçon, aime Anna Gavalda, Jennifer Aniston et le karaoké, où elle se rend chaque samedi avec ses copines. Un jour, entre dans son salon Clément (Loïs Corbery, parfait). Il est professeur de philosophie, muté pour un an à Arras, autant dire l’enfer pour ce Parisien qui aime Kant et Proust, s’habille en noir et n’a pas de télévision. Il ne croit pas en l’amour, il l’a même écrit dans un essai devenu best-seller. Tout les oppose, mais Jennifer et Clément vont pourtant vivre quelque chose ensemble, quelque chose qui ne porte pas le même nom pour l’un que pour l’autre.

Lucas Belvaux a placé tous les indices pour faire croire à une comédie romantique. Il joue la liste des préférences comme dans Love Story. Il explore cette irrésistible figure de style qui consiste à observer le corps de l’un dans le milieu étranger de l’autre. Jennifer lira L’Idiot, Clément l’accompagnera dans son karaoké. Mais de ces situations drolatiques suinte souvent le malaise. Belvaux réussit même à créer du grinçant avec de bonnes intentions. Elle le surnomme très vite «chaton». La honte. Il lui dédicace «amicalement» les livres qu’il lui offre. Quelle cruauté!

Plus encore qu’une comédie sur les différences de classe, Pas son genreest un film sur l’usage de la lecture. Lucas Belvaux n’arbitre pas le match entre la puissance du roman et la subtilité de la philosophie mais oppose deux types de lecteurs: ceux qui relisent (Clément) et ceux qui lisent jusqu’au bout (Jennifer). Les premiers vérifient que tout est bien comme ils l’avaient imaginé; les seconds prennent le risque de perdre beaucoup de temps.

Jennifer, lucide, sait qu’elle est celle qui aime le plus (quand l’autre s’ennuie). Sans avoir lu Proust, elle sait aussi comment une fille qui «n’est même pas son genre» peut réveiller un cœur froid: un peu de jalousie et d’indifférence feront l’affaire. Clément, qui reconnaît le mécanisme, n’y est pas insensible. Cela suffira-t-il à le rendre amoureux? Le film ne le dit pas. Mais Jennifer, elle, le sait et en tire les conséquences. Quand on lit jusqu’au bout, on connaît la fin. Jennifer accomplira ce que Clément bâcle systématiquement: réussir sa sortie. «Ne craignez point de prendre des partis trop rudes et trop difficiles, quelque affreux qu’ils vous paraissent d’abord: ils seront plus doux dans les suites que les malheurs d’une galanterie.»

Lucas Belvaux donne une grandeur sidérante à cette coiffeuse de province qui lit Anna Gavalda mais qui a la radicalité d’une princesse de Clèves.

Marie-Claude Martin, Le Temps

Projeté dans le cadre de

Du 16 Mars 2015 au 11 Mai 2015
2ème cycle