Truman Capote
En novembre 1959, Truman Capote, auteur de "Breakfast at Tiffany's" et personnalité très en vue, se passionne pour le meurtre de quatre membres d'une famille de fermiers du Kansas. En précurseur, il pense qu'une histoire vraie peut être aussi passionnante qu'une fiction si elle est bien racontée. Il voit là l'occasion de vérifier sa théorie et persuade le magazine "The New Yorker" de l'envoyer au Kansas. Il part avec une amie d'enfance, Harper Lee...
En 1965, Smith et Hicock sont exécutés, et Capote publie sa relation de leur crime, sous le titre De sang-froid. Le livre se vend à des millions d'exemplaires, c'est le dernier texte long que Capote réussira jamais à écrire.
Le film de Bennett Miller met en scène ce voyage initiatique destructeur (le scénario de Dan Futterman est tiré de la relation de cet épisode dans la biographie que Gerald Clark a consacrée à Capote). Il prend à peine le temps de présenter Capote, le mondain qui a fait de sa singularité l'instrument de son influence, qu'il le précipite dans une géographie physique et humaine qui lui est entièrement étrangère. Cette aliénation sert de carburant à Capote : il en conçoit de la curiosité, bien sûr, il s'amuse à surmonter la méfiance qu'on lui oppose (incarnée ici, de façon très subtile, par Chris Cooper, qui joue le shérif chargé de l'enquête), mais surtout il y trouve une totale liberté de pensée et de regard.
Jusqu'au moment où il fait la connaissance de Perry Smith, l'un des deux meurtriers. Truman Capote devient alors une histoire de vampire. Smith est à la fois une petite frappe et une créature fascinante, qui inspire au Capote que compose Hoffman désir et répulsion. S'il s'agissait d'un avocat ou d'un policier, l'affaire serait simple. Mais notre héros est ici un artiste. Son but est d'extrairede son matériau l'essence de ce qui fera son oeuvre. C'est-à-dire séduire etcharmer, mais aussi monnayer : Capote finance les recours de Smith et Hicock, qui ont été condamnés à mort dès leur premier procès, dans l'espoir d'obtenirdu premier un récit détaillé de la nuit du meurtre. Plus tard, le romancier, qui veut que la réalité écrive le dernier chapitre de son livre, se prend à souhaiterque les deux hommes soient enfin pendus.
On dit souvent d'un acteur qu'il défend son personnage. Ici, plus que de la plaidoirie, le travail de Philip Seymour Hoffman relève plus de la médecinelégale, à ce détail important près : l'acteur maintient son sujet en vie. La critique américaine a certifié que Hoffman reproduisait très exactement les tics et les maniérisme du romancier, qui était devenu, après le succès de De sang-froid, l'un des piliers du circuit des talk-shows.
Même si l'on n'est pas à même de juger de cette véracité, on est bien forcé devoir que cet arsenal, qui servait probablement à Capote d'armure contre le monde extérieur, devient ici un langage d'émotions et de pulsions. Qu'il déploie son charme, lorsqu'il est invité chez le shérif de Halcomb, ou qu'il se rende malade de jalousie lorsque son amie Harper Lee (Catherine Keener) rencontre le succès avec Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur, le Truman Capote de Philip Seymour Hoffman est un homme qui vacille sans cesse au bord d'un gouffre, espérant trouver sa rédemption dans la littérature.
Sainte Thérèse d'Avila a écrit que "plus de larmes ont été versées sur les prières exaucées que sur les autres". Après De sang-froid, Capote entreprit la rédaction d'un "grand roman proustien américain" qu'il ne mena jamais à bien. Il lui donna pour titre Prières exaucées. La mise en scène sèche et sans emphase de Bennett Miller, le travail chirurgical de Philip Seymour Hoffman dessinent de manière saisissante ce moment faustien dans la vie d'un artiste, quand la réalité lui offre la matière de son chef-d'oeuvre mais épuise d'un même coup sa créativité.
Thomas Sotinel, Le Monde