Sideways
Miles, un écrivain raté récemment divorcé, et son ami Jack, un acteur sur le point de se marier, décident de faire la route des vins dans la vallée de Santa Ynez, en Californie. Aussi différents que proches, il n'ont en commun que les ambitions déçues et l'inquiétude face au temps qui passe.
De dégustation en dégustation, Miles et Jack se noient dans l'amour du divin nectar et des femmes. Jack tombe sous le charme de Stéphanie, une séduisante serveuse, et met en péril son futur mariage. Miles, lui, entame une liaison avec Maya, sommelière. L'heure des remises en cause a sonné. Alors que la fin du voyage et le mariage approchent, Miles et Jack sont de moins en moins sûrs de vouloir rentrer. Se pose alors la seule vraie question qui vaille : quelle vie choisir ?
Ce road-movie de chai en chai, en compagnie de deux vieux amis non armés, exhale un exotisme radical. A cela s'ajoute l'allure inhabituelle des deux acteurs principaux. Paul Giamatti, remarqué dans American Splendor, joue l'intello à calvitie qui néglige son apparence. Thomas Hadan Church évoque une sorte de Schwarzenegger manqué. Ni l'un ni l'autre ne correspondent à l'image d'une tête d'affiche américaine d'aujourd'hui. Le seul risque serait que le réalisateur Alexander Payne se complaise dans la ringardise supposée de ses personnages, ou s'en satisfasse, un peu comme pour son Monsieur Schmidt (en 2002, avec Jack Nicholson). De fait, la visite chez la mère de Miles, préambule au voyage des deux hommes, charge un peu trop facilement la barque de l'Amérique profonde - télé en overdose et cerveaux en milk-shake. Mais, sitôt sur la route des vins, le film ne laisse pas de surprendre et de charmer, en progressant sur les deux fronts de la comédie et du romanesque. Derrière l'opposition voyante des deux protagonistes et leurs goûts contraires en matière de vin, une alchimie plus complexe se fait jour. Jack veut à tout prix profiter de l'escapade pour s'offrir une dernière aventure sexuelle (minimum) avant le mariage, mais il veut aussi, et peut-être surtout, tirer Miles de sa dépression. Comme souvent les amis de longue date, Jack et Miles n'ont plus grand-chose en commun. Voyager ensemble, partager la même chambre de motel ne vont pas de soi. Mais un lien organique persiste. Jack a besoin que Miles retrouve le goût du plaisir, comme si sa propre vitalité dépendait de la guérison de l'autre. Commencé à la façon d'un buddy movie - un film de potes -, genre masculin par excellence, Sideways se cristallise avec l'apparition de deux femmes sédentaires, célibataires et amies. Stephanie la brune est serveuse dans un chai, Maya la blonde, sommelière. Le vin aidant - à la fois comme sujet de conversation et comme euphorisant -, un quatuor se forme. Jack parvient très vite à ses fins avec Stephanie, tandis que Miles, toujours au trente-sixième dessous, entame un dialogue savant avec Maya, une vraie joute entre oenologues distingués. Mais une joute qu'Alexander Payne filme comme un vibrant rituel de séduction, dans la grande tradition hollywoodienne... Voilà la réussite du film, si humble soit-elle : croiser harmonieusement des registres contradictoires, jouer à la fois sur le ridicule et sur un reliquat insoluble de romantisme, de candeur sentimentale. Autour de Jack le tombeur, un autre mélange de tonalités s'opère. Plus le récit avance, plus le personnage se prend les pieds dans le tapis de ses stratagèmes dérisoires. Il devient un corps burlesque, un punching-ball. Une mécanique folle qui, malgré les coups et blessures, continue la drague, quitte à revoir ses prétentions à la baisse. Ce faisant, il est aussi de plus en plus émouvant, dans ce rut compulsif qui est aussi un combat essoufflé contre le déclin. Sans rien révolutionner, Sideways offre ainsi une synthèse savoureuse de quelques pans bien-aimés de cinéma américain. Outre l'attrait d'une Californie intimiste, on retrouve, à travers la figure de Miles, celle du Woody Allen d'autrefois, Caliméro cérébral au pessimisme dru, mais qu'un miracle amoureux pourrait encore sauver. Et ses tribulations avec son compère prolongent discrètement cette fibre comique à laquelle les frères Farrelly ont donné ses lettres de noblesse : une manière de mixer avec bienveillance humour trivial et casse-tête existentiel.
Louis Guichard, Télérama