Exils
Naïma et Zano, deux enfants d'exilés, décident un beau jour de partir vers le Sud à la recherche de leurs origines lointaines...
Le film commence à la verticale : Zano regarde dehors, acier, béton et bagnoles, du haut de sa fenêtre de HLM. Brusquement, il lâche son verre de bière dans le vide. Dès lors, l'histoire de Zano et de Naïma, sa compagne, sera horizontale. Un long périple au ras du sol, des territoires et des frontières. Ils vont en Algérie, à pied, en train, en fraude, en force, en rêve et en musique. Chacun, à sa manière, y a des racines, une mémoire oubliée : Zano, orphelin, fils de pieds-noirs, et Naïma, qui ne connaît de l'arabe que son prénom. L'itinéraire est inscrit sur leurs corps, carte des cicatrices : un accident de voiture, le « souvenir d'un mec », ou d'autres blessures, indicibles. Elle, Naïma, est le coeur du film, son muscle palpitant. Le personnage autant que l'actrice, Lubna Azabal. Beauté râpeuse, incendiée. Tout en elle déroute. Sa fantaisie, ses gestes, son mystère... Libre et verrouillée dans ses secrets, Naïma ne ressemble à aucune autre. C'est peu de dire qu'elle crève l'écran. Autour d'elle et de Zano (Romain Duris, rêveur et touchant), les paysages défilent : la France, puis l'Espagne et le Maroc, avant de toucher enfin au but. Paysages brûlés de soleil, friches industrielles transformées en campements de fortune par des immigrés clandestins... Et paysages sonores, tant la musique donne le tempo des rencontres et des âmes. Electro, gitane, flamenco, orientale, elle souffle comme le vent sur les deux pèlerins ébouriffés, les pousse vers la source de leur quête. Tony Gatlif, Prix de la mise en scène à Cannes, les filme comme on mord et on embrasse, sans retenue, avec une fantasque et débordante sensualité. Sa caméra et ses personnages se frottent au réel pour mieux l'enchanter. (...)
Le voyage reprend ses droits, les seuls droits de ceux qui sont sans papiers, passagers clandestins, exilés en mouvement. Tout un peuple que croisent sans cesse Zano et Naïma. Eux-mêmes se glissent dans le mauvais bateau, qui les éloigne un temps de l'Algérie, comme on diffère une révélation. Acte manqué, et avant-dernier acte, voulu par le cinéaste comme un ultime mouvement musical avant le point d'orgue, le retour aux origines et aux souvenirs perdus. Tout converge vers la scène de transe soufie, explosion cathartique. Filmée à l'arraché, avec ferveur, cette séquence où les corps s'emmêlent, au rythme des chants et des percussions, raconte en elle-même une histoire de liberté, de douleurs et d'abandon, de désir et de mouvement. Une histoire de voyage.
Cécile Mury, Télérama