Beasts of the Southern Wild
Hushpuppy, 6 ans, vit dans le bayou avec son père.
Brusquement, la nature s'emballe, la température monte, les glaciers fondent, libérant une armée d'aurochs.
Avec la montée des eaux, l'irruption des aurochs et la santé de son père qui décline, Hushpuppy décide de partir à la recherche de sa mère disparue.
Quand tant de films méritoires partent battus d'avance dans le jeu inégal de l'exploitation cinématographique, certains autres semblent sortir de la cuisse de Jupiter. Cela tient souvent au calibre de leur production, mais pas toujours.
Les Bêtes du Sud sauvage, de l'Américain Benh Zeitlin, en est une preuve. Modeste production indépendante à l'origine, le film a fait forte impression lors des premières projections publiques et a réussi à retourner ses handicaps en autant d'avantages.
Doté du Grand Prix du jury au festival Sundance et de la Caméra d'or auFestival de Cannes (pour ne citer que les deux prix les plus remarquables), le film est réalisé dans le cadre d'un collectif artistique (Court 13), créé à l'université par un fougueux inconnu né il y a trente ans dans le Queens.
Caractérisé par une veine sociale (les déshérités de Louisiane) et poétique (le lyrisme fantastique du sud des Etats-Unis), Les Bêtes du Sud sauvage est plus ou moins implicitement annoncé, dans l'enthousiasme général, comme l'objet rimbaldien de la semaine.
Si l'on se réjouit de cet accueil pour son jeune auteur, la vision de l'oeuvre suscite néanmoins plus de réserve, en dépit d'incontestables réussites. On ne peut, de fait, qu'admirer la démarche d'un auteur qui, sous le coup du cataclysme écologique et social déclenché par la tempête Katrina en Louisiane, en 2005, décide de vivre sur place, de monter le financement de son film contre vents et marées, puis de faire interpréter et travailler le récit (scénarisé d'après la pièce de théâtre écrite par son amie d'enfance Lucy Alibar) par des autochtones, non professionnels.
On ne peut davantage se désolidariser d'une démarche qui fait le choix courageux d'une trame narrative ultraminimaliste pour mieux travaillerl'atmosphère, la picturalité, le geste artistique.
L'histoire, en l'occurrence toute simple, mais d'une puissance mélodramatique assurée, est celle d'une fillette de 6 ans au caractère bien trempé, nommée Hushpuppy. Houspillée par la vie, déracinée par un désastre climatique qui est en train de s'abattre sur toute la population du bayou, ce petit bout de chou, orpheline de mère, tente de sauver son père, gravement malade et saisi d'accès de violence éthylique, de la déchéance dans laquelle il est en train de plonger.
Version contemporaine du Radeau de la Méduse, de Géricault, Les Bêtes du Sud sauvage déploie un lyrisme romantique qui fait jouer, en caméra portée et en gros plans, des visions d'apocalypse dignes de la démesure biblique (bêtes monstrueuses libérées des glaces et fondant sur le monde), des prises documentaires exaltant la beauté sinistrée du bayou, des scènes pathétiques qui exaltent la capacité de résistance et la dignité humaines dont sont susceptibles de faire preuve les damnés de la terre.
Jacques Mandelbaum, Le Monde