The Swimmer
Faire le trajet de chez ses amis à chez lui, en nageant de piscine en piscine. C'est l'idée farfelue de Ned, héros de The Swimmer. Et pour cause, la distance qui le sépare de sa maison est parsemée de piscines privées, de gens qu’il a pour certains côtoyés. Sauf que chaque étape ne le rapproche pas de son but final, mais l’en éloigne un peu plus. Cet étrange retour d’Ulysse vers un foyer de plus en plus hypothétique permet de dépeindre l’hypocrisie sociale et l’esseulement d’une société qui évolue dans un décor de perfection et d’abondance. «Quinze ans après Tant qu'il y aura des hommes où Burt Lancaster, déjà en maillot de bain, embrassait Deborah Kerr dans les vagues, la mâle assurance se noie à présent d'un bassin à l'autre dans la dépression et la solitude»
Philippe Azoury, Le Monde
Chronique des vanités bourgeoises
Tourné en 1968, adapté d’une nouvelle de John Cheever publiée quelques années plus tôt, The Swimmer a pour décor le Connecticut. Le film décrit avec une acidité rare les modes de vie mélancoliques, alcoolisés et repus d’argent de l’«upper class» américaine - artistes, hommes d’affaires, intellectuels - dont il s’empare en les déshabillant. Par une après-midi ensoleillée, Ned Merrill surgit à l’écran, de dos, en maillot de bain. Il remonte un sentier à travers les arbres et atterrit sans préambule chez un couple d’amis qui boit un verre au bord de leur piscine. L’opulence est immédiatement perceptible, ainsi que l’ennui ou la langueur d’un lendemain de fête. Donnant le sentiment de vouloir échapper à l’un comme à l’autre, Ned a cette idée de rentrer chez lui à la nage. Il ira de piscine en piscine, de voisins en voisins, d’amis en amante. Chacun est interloqué, la décision est énigmatique, mais Ned démarre sa traversée. Le film raconte, en jouant avec le temps réel, cette remontée sportive d’un fleuve imaginaire, incarné par une succession de piscines, objet-totem du film. Motif architectural formellement imposant, la piscine souligne la réussite sociale autant que l’enjeu hygiéniste, physique que convoque la figure du nageur. Mais le film insiste sur l’envers de ces clichés. La chaleur, les corps à moitié nus, la rencontre avec une jeune nymphette, leur promenade sous les arbres autant que leur improbable course d’obstacles : autour de la piscine s’accumule tout un registre plastique clairement antimoderniste - que la transpiration incarne au mieux. Une sensualité assez brutale qui répond au calme plat de ces constructions autour desquelles on se tient, sans vraiment savoir quoi y faire. Burt Lancaster, qui ne quitte jamais son maillot de bain, incarne le cinquantenaire en pleine santé qui répond avec bonhomie aux questions les plus banales que lui posent les personnes qu’il croise sur sa route. Son sourire crispé indique cependant un vrai malaise : cette célébration du corps autant que la vacuité des rapports d’amitié et de voisinage révèlent progressivement une fêlure qui finit par s’imposer à la toute fin du film.
Clara Schulmann, professeur d'histoire de l'art à l'Ecole des beaux arts de Bordeaux