Mon âme par toi guérie
Frédi a perdu sa mère. Cette dernière lui a transmis un don, dont il ne veut pas entendre parler. Mais il se trouve peu à peu contraint de reconnaître que ses mains guérissent...
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Dupeyron par une rencontre guéri
A la veille de fêter ses 63 ans, François Dupeyron s'était fait une raison : pour lui, c'en était terminé du cinéma. Pas de gaieté de coeur, mais à force de voir pendant cinq ans ses projets refusés, à lire les comptes rendus de lecture fustigeant une quantité trop élevée de "gros mots" ou arguant que "le sujet n'est pas traité" (il faudra bien un jour que l'on nous dise qui sont ces gens qui lisent les scénarios pour les décideurs et d'où leur vient leur autorité), le cinéaste avait décidé de prendre le large. Sa dernière chance ? Une rencontre avec Paulo Branco, le producteur des causes perdues. Lequel lui met le marché en main : "Si tu acceptes de faire le film avec trois fois rien, on y va." Il n'a pas lu le scénario, seuls lui importent la personnalité et le désir du cinéaste. Celui-ci se déclare conquis et affirme aujourd'hui que Paulo lui "a sauvé la vie". Le film se fera donc. Il vient de loin.
"Un matin, il y a longtemps, explique Dupeyron, je me suis réveillé avec cette idée d'un type qui possède le don de guérir par l'imposition des mains. J'ai essayé d'écrire un scénario, je n'y suis pas arrivé, alors j'en ai fait un roman." Il paraît en 2009, aux Editions Léo Scheer, sous le titre "Chacun pour soi, Dieu s'en fout". Mais pourquoi Dupeyron, scénariste expérimenté, n'a-t-il pas réussi alors à transformer son idée en film ? "Parce que je me censurais, en pensant à ce que diraient les décideurs des chaînes de télévision, j'essayais de prévenir leurs réactions négatives : je me disais non, je ne peux pas écrire ça, ça ne passera jamais." Les mêmes réflexes, qui l'avaient laissé en paix au moment d'adapter son livre pour le cinéma, reviennent lorsqu'il s'agit de penser à des acteurs : "Quand on me demande pourquoi j'ai choisi Grégory Gadebois pour le rôle de Frédi, je réponds que c'est parce que les autres acteurs ont refusé. J'ai proposé le film à des comédiens non parce qu'ils me semblaient correspondre particulièrement au personnage, mais parce que j'imaginais que leur présence aiderait au financement. C'était idiot, je l'ai vite compris. En réalité, je pensais à Grégory depuis le début, mais pour un petit rôle, et puis, peu à peu, je l'ai vu dans toutes les scènes, les unes après les autres, et il était parfait. Sur le plateau, c'est un véritable cadeau, il possède une intelligence insensée des situations et des personnages, il a réellement un truc à part."
En effet, Grégory Gadebois est proprement génial dans le film, d'autant que le filmage en longs plans-séquences, plus de sept minutes pour certains, offre aux comédiens de donner leur pleine mesure. Le style décidé par François Dupeyron et Yves Angelo, son chef opérateur et cadreur, s'est imposé de lui-même, électrique, survolté même parfois, toujours inquiet, comme impatient. Il arrive que le soleil inonde l'objectif de la caméra, aveuglant le spectateur. Ces choix de réalisation se sont trouvés comme renforcés par les impératifs économiques : au cinéma peu d'argent signifie pas de temps. Pourtant, le cinéaste a eu ce qu'il lui fallait, le film s'est fait "sans scripte, sans décorateur, sans costumier, sans maquilleur", des postes tous tenus généralement pour indispensables et dont l'expérience démontre que, souvent, ils ne le sont pas. Ces conditions de réalisation ont en un sens soulagé le cinéaste qui a ainsi pu "libérer aussi tous les autres, les acteurs, les techniciens". Une sensation déjà ressentie sur cet autre film "à l'arrache" qu'était "Inguélézi" (2003), mais jamais à ce point.
Aujourd'hui Dupeyron constate que, depuis vingt-cinq ans qu'il fait du cinéma, c'est la première fois que "le film est en adéquation avec la production". "Jusqu'à présent, explique-t-il, je me suis presque toujours trouvé le cul entre deux chaises, entre cinéma d'auteur et films avec vedettes : quand j'ai écrit mon premier film, "Drôle d'endroit pour une rencontre", je n'imaginais certes pas que Deneuve et Depardieu en seraient les interprètes." C'est ce que joliment il nomme "le luxe du pauvre", qui à l'entendre n'a pas de prix. Voilà qui convient très bien à Paulo Branco auquel, depuis le tournage, il a fait passer quelques scénarios, que bien sûr le producteur n'a pas lus : "Il m'a dit que quand j'aurais vraiment envie d'un film, il me suffirait de le lui dire, il serait partant." François Dupeyron attendra encore quelque temps avant de passer ses journées à regarder la mer.
Pascal Mérigeau, Le Nouvel Observateur