Hantise
Durant ses vacances en Italie, Paula Alquist rencontre un pianiste charmant, Gregory Anton, qui la séduit. Ils se marient et Gregory propose à Paula d'aller vivre à Londres dans la demeure que la tante de Paula, mystérieusement assassinée, lui a léguée. Le couple vit heureux, mais peu à peu Paula est en proie à d'étranges hallucinations tandis que son mari devient froid et distant…
Adepte du portrait de groupe, de la chronique et de la satire de mœurs, Cukor a peu sacrifié aux genres traditionnels et populaires du cinéma hollywoodien. Quand il le fait, c'est avec beaucoup de fantaisie et de raffinement (cf. son western Heller in Pink Tights, sa comédie musicale Les Girls) ou bien avec une idée derrière la tête. Ici, dans ce mélodrame victorien aux allures de thriller, adapté d'une célèbre pièce anglaise, il voit surtout une occasion de révéler certains aspects cachés (à cette époque) du talent de Bergman. Elle qui semblait faite avant tout pour jouer les femmes équilibrées, radieuses, épanouies, il la fait sortir de ses gonds et la montre bouleversée et boulever- sante vacillante, apeurée, telle une proie consentante offerte à un bourreau sadique et diabolique. Après Victor Fleming, auteur de la première métamorphose de Bergman dans son Dr Jekyll et Mr Hyde, de 1941, il ouvre ainsi la voie à Hitchcock et à Rossellini qui feront d'elle une héroïne du vertige et de la frustration. Cukor donne aussi son premier rôle rôle difficile à la jeune Angela Lansbury (17 ans), fille d'une comédienne irlandaise, Moyna McGill, célèbre sur les scènes londoniennes. Le thème de la femme victime, en proie aux obsessions criminelles de son mari, alimente le mélodrame «gothique», un genre basé sur des décors, des atmosphères et des éclairages savamment inquiétants, qui progresse dans le cinéma américain parallèlement au film noir des années 40 (cf, Suspicion, Soupçons, de Hitchcock, 1941, Experiment Perilous, Angoisse, de Jacques Tourneur, 1944, Sleep My Love, L'Homme aux lunettes d'écailles, de Douglas Sirk, 1948, Caught, de Max Ophuls, 1949).La pièce de Patrick Hamilton, l'auteur du roman d'où fut tiré Hangover Square et de la pièce La Corde, avait déjà été fort correctement filmée par Thorold Dickinson (Angleterre, 1940), avec Anton Waldbroock et Diana Wynyard. Il n'y a pas de différence radicale entre les deux adaptations sinon que tous les éléments du film recréation de l'atmosphère victorienne, beauté de la photo et des cadrages, interprétation, rythme tendu imprimé au récit - sont cent fois plus brillants et aboutis chez Cukor.
Jacques Lourcelles, Dictionnaire du Cinéma