Chacun à son poste et rien ne va
Un groupe de jeunes Italiens du Sud, riches de leurs seuls rêves de fortune, vient s’installer à Milan. Adelina, Carletto, Gigi, Isotta, Sante et Mariuccia cherchent à s’intégrer dans la mégapole avec l’enthousiasme et la force de ceux qui n’ont rien à perdre. Mais leurs rêves ne vont pas tarder à se confronter à la cruauté de la grande ville et de la vie moderne…
Si Chacun à son poste et rien ne va vient confirmer la cohérence thématique et formelle de l’univers de Lina Wertmüller - le film travaille un matériau scénaristique et esthétique s’apparentant certainement à celui de Mimi métallo... - ce long métrage témoigne aussi de la capacité de la cinéaste à renouveler avec talent l’approche de l’univers défini avec Mimi métallo... (…) Chacun à son poste… s’appuie sur des interprètes aux trognes baroques - que ces visages soient naturellement "atypiques" ou rendus grotesques par le maquillage - et que Lina Wertmüller laisse aussi libres d’exploiter leurs capacités expressives qu’elle le faisait avec Giancarlo Giannini et Mariangela Melato dans Mimi métallo... Comme dans ce dernier film, Chacun à son poste… offre donc une interprétation hypertrophiée de la commedia all'italiana s’observant, par ailleurs, à propos des dialogues. Les premiers échanges entre les personnages de Chacun à son poste… sont en effet aussi étincelants et tonitruants que ceux que l’on pouvait entendre dans Mimi métallo..., générant souvent d’irrésistibles moments comiques. (…) Ne se contentant pas d’exploiter les recettes comiques, pourtant couronnées de succès, mises au point à l’occasion de Mimi métallo..., Lina Wertmüller compose donc avec Chacun à son poste… un spectacle cinématographique à la fois bigarré et maîtrisé. La fiction la plus ostensible y côtoie la captation documentaire. De même que le rire y devient souvent grinçant pour, finalement, laisser place à une réelle tristesse. Et en explorant ainsi de nouveaux modes de mise en scène, Lina Wertmüller confère une force accrue au propos politique et polémique de Chacun à son poste… Car, si ce dernier vient à différer de Mimi métallo... quant à sa dimension formelle, Chacun à son poste… participe, on l’aura compris, d’une même et virulente dénonciation de toutes les formes de domination alors en vigueur en Italie. Que celles-ci soient économique - Chacun à son poste… montre le monde du travail comme un espace totalement soumis à la loi d’airain du capitalisme -, politique - l’Italie d’alors semble, selon Lina Wertmüller, gangrénée par un fascisme ne prenant même pas la peine de se dissimuler - et enfin sexiste - à la dénonciation de l’interdiction de l’avortement, la cinéaste ajoute les motifs du viol, déjà présent dans Mimi métallo..., et de la prostitution, balayant ainsi les principaux symptômes de la domination masculine. (…)
Pierre Charrel, dvdKlassik