Sous les figues
Fidé, Sana, Melek, Meriem et d’autres femmes travaillent à la récolte des figues. À l’ombre des arbres, elles parlent d’amour et de «mektoub»... Une merveille de délicatesse, qui touche au politique et à l’intime avec une subtilité et une sensibilité rares.
En lien avec Riz amer, de Giuseppe De Santis
Sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs du Festival de Cannes 2022
Sous les figues est un film immense. Immense parce qu’il regarde des femmes et des hommes, de tous les âges, s’adonner du matin au soir à la cueillette des fruits, pour à peine quelques sous. Ils témoignent de la réalité de nombre de paysans et de manœuvres réduits à travailler jusque la mort pour nourrir leur famille. Ils témoignent d’un pays, la Tunisie, qui peine à réconcilier le poids de la tradition et le rêve de liberté. Ils témoignent d’un État autoritaire, arbitraire, maltraitant, qui, à travers la figure du chef, abuse à chaque instant de son pouvoir sexuel, économique et partial.
Le long-métrage est habité par une grâce infinie. La réalisatrice tient sa caméra au plus des visages de ses comédiens. Elle les aime, les scrute au bord des émotions et des gestes qu’ils accomplissent. On se remplit de leurs dialogues aussi joyeux que désemparés parfois, qui font la synthèse à eux seuls du drame qui traverse la Tunisie depuis longtemps. Les malentendus, les non-dits obstruent la cohérence du pays en faveur duquel le peuple renonce officiellement à toute forme de modernité et de liberté. La caméra de la metteuse en scène balaye des visages âgés, abîmés par le temps et la frustration, mais aussi d’autres plus juvéniles, peinant de la même manière à être pleinement à la vie. Les personnages féminins sont absolument magnifiques. Les hommes, plus épars, composent au mieux qu’ils peuvent avec cet environnement féminin, quand ils ne se réfugient pas dans la violence ou l’abus.
On ressort de ce film revigoré par l’air fruité de ce bout de Tunisie. Derrière ce récit très romanesque, la réalisatrice parvient à faire ressentir le goût du fruit sur l’arbre, les parfums du verger, la solennité des montages et le son du vent. La dernière demi-heure, totalement sublime, précipite la narration dans un foudroiement d’émotions. Mais on ne pleure pas avec ces personnages. Car la beauté, si marquée de ces visages, gagne sur la tristesse de leur condition, jusqu’à cette scène finale où un camion les ramène vers leur village, les yeux remplis de lumière et de chants.
Laurent Cambon, aVoir-aLire