Tout le monde aime Jeanne
Tout le monde aimait Jeanne, mais aujourd’hui, à quarante ans, elle se déteste. Surendettée, elle doit aller à Lisbonne vendre l’appartement de sa mère décédée... Blanche Gardin, pince sans rire, illumine avec bonheur cette comédie existentielle originelle et drôle.
En lien avec Lisbonne Story, de Wim Wenders
Sélectionné à la Semaine de la Critique 2022
Cannes 2022 : dans « Tout le monde aime Jeanne », l’irrésistible duo Blanche Gardin-Laurent Lafitte
Le premier long-métrage de Céline Devaux marie fantaisie et gravité autour des tourments d’une ingénieure en pleine remise en cause.
Femme de qualité, Jeanne (Blanche Gardin) agit pour le bien d’autrui. Elle en a fait une règle de vie et sa profession en devenant ingénieure au service de la planète. A cette heure, elle s’apprête à connaître son heure de gloire grâce à une colonne révolutionnaire de récupération et de recyclage des plastiques destinée aux océans, dont elle est la conceptrice. Le jour J est arrivé, l’événement, suivi par les télévisions et les badauds : la colonne est enfin installée. Elle se dresse au large, sous les applaudissements, puis, deux ou trois clignements de paupières plus tard, s’effondre. Jeanne aussi. La première ne s’en relèvera pas. Pour la seconde, il faudra du temps.
Le ton est donné, le film lancé, qui va suivre la dépression de Jeanne en y insufflant une bonne dose d’humour. Mieux vaut, après tout, en rire qu’en pleurer. Tel est le parti, en tout cas, que choisit la réalisatrice française Céline Devaux dans son premier long-métrage, Tout le monde aime Jeanne, récit à la fois cocasse et grinçant sur le mal-être humain, trop humain, d’une jeune femme d’aujourd’hui, idéaliste un brin désespérée et néanmoins guerrière, soudain saisie de vertige, submergée par une crise existentielle. En un mot : Jeanne en a marre. Elle veut tout envoyer balader, quitte son boulot et Paris, part pour Lisbonne où, pense-t-elle, il est temps de vider l’appartement de sa mère, morte il y a un an. Loin de tous, seule dans une ville qu’elle connaît bien, elle espère pouvoir remonter la pente. Et, surtout, faire taire cette petite voix intérieure qui, sans cesse, lui enjoint de bien se comporter. On la voit, cette bonne conscience ! Qui vient lui pourrir la vie, intervient pour lui faire la morale ou se moquer. On ne peut y échapper tant elle s’incruste, au sens propre du terme, prenant la forme d’un petit fantôme chevelu, dont les interventions donnent lieu, tout au long du film, à de brèves séquences animées. On l’aura compris, Tout le monde aime Jeanne se plaît au mélange des genres, au mariage de la fantaisie et de la gravité. La réalisatrice a le don de l’équilibre, qui sait faire tanguer son histoire, tenir ses personnages sur un pied au point qu’on ne sait plus, nous-mêmes, sur lequel danser. L’incertitude est jouissive, diablement cultivée par Blanche Gardin et Laurent Lafitte, qui trouvent ici un champ rêvé, conçu pour eux, de quoi construire un irrésistible duo. Car, à Lisbonne, Jeanne croisera Jean, qui lui collera aux basques. Elle est en dépression et refuse de l’admettre. Il est un ancien dépressif assumé et soucieux d’aider. Bien que, au moment de leur rencontre fortuite dans un aéroport, l’évidence ne saute pas aux yeux, ces deux-là sont faits pour s’entendre. Le film s’appliquera, du moins, à les y conduire sur un pas de deux légèrement discordant, qui fait toute la saveur de cette comédie (sentimentale).
Véronique Cauhapé, Le Monde, Mai 2022