Une place au soleil
D'origine modeste, George Eastman a résolu, dès son plus jeune âge, de se hisser au-dessus de sa condition. L'occasion s'en présente un jour grâce à son oncle, qui lui offre un petit emploi dans son usine. Là, George fait la connaissance d'Alice, une ouvrière dont il devient rapidement l'amant. Son ambition dévorante conduit le jeune homme à accepter de se joindre à une soirée mondaine, sur l'invitation de son oncle. Il y rencontre Angela Vickers.
La première force du film est l’absence, dans les explosions et les creux de la narration, de personnage-concept : d’une classe à l’autre, les êtres sont portés par un certain fatalisme mais ne sont jamais cloisonnées par une pré-définition de caractère écrite, une construction rigide qui confondrait portrait social et évidence psychologique. George, l’apprenti parvenu, fricote tout d’abord avec la classe ouvrière en la personne d’Alice, qui, malgré ses efforts, succombe au charme du ténébreux. Mais c’est Angela Vickers (Elizabeth Taylor), habituée des chroniques mondaines, qui lui apporte l’amour passionnel et la possibilité de s’élever. Pris entre deux feux, celui de l’honnêteté morale envers Alice qui tombe enceinte et celui de l’ascension fulgurante qui devient possible en épousant Alice, George s’enfonce dans les travers de la classe qu’il convoite. George, marqué au départ par l’exclusion, mis à part dans le cadre au centre du grouillement vain des Eastman, entre peu à peu dans le saint des saints et arrache la première reconnaissance : celle d’être regardé, reconnu et invité par le haut de l’échelle ; puis celle d’être aimé par l’une de ses représentantes.
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Les témoins de la maladie sociale américaine ne sont pas seulement purement formels. Il est vrai que la maîtrise du clair-obscur, de l’expression de ses acteurs, victimes toutes excellents et protégées par l’image, et des courbes de rythme font de Stevens un réalisateur à la palette plus large qu’un film comme Géant ne pourrait laisser penser. Mais ce sont aussi les rappels politiques discrets qui donnent à Une place au soleil une ampleur plus importante : l’avortement clandestin est la seule résolution possible pour la modeste Alice ; la peine de mort est la punition de l’échec social dans le film, non la juste sentence d’un crime, le jugement d’une pensée, d’un statut précaire, et non d’un acte. Le film lui-même, dans sa construction et son accélération finale, reproduit la logique implacable d’une classe qui éradique les perdants. La beauté d’Une place au soleil, tantôt poétique, tantôt glaciale, va de pair avec la cruauté des mondes autour desquels il navigue, la vraie cruauté, celle qui étrangle le marin hésitant mais ne fait pas s’emballer le moteur du bateau.
Ariane Beauvillard, Critikat