Sur
Tard dans la nuit, Floreal sort enfin de prison. Voilà cinq ans que sa femme et lui attendent de se retrouver. Mais la nuit sera longue et les retrouvailles sans cesse retardées. Car le couple, comme le pays, a changé. Cette nuit vaudra toutes les nuits, toute une vie. Une nuit où souvenirs, mirages des vivants et des morts se mêlent. Nuit de lumière aussi: sur c'est: «l'amour, le désir, les projets, l'utopie...» (Solanas)
Cinéaste engagé, auteur de films manifestes comme L’heure des brasiers (1966-68), Fernando Solanas s’était exilé en France après le coup d’État militaire de 1976. Le retour de la démocratie lui permit de revenir au pays pour réaliser Tangos, l’exil de Gardel (1985), une coproduction franco-argentine. Le Sud, présenté au Festival de Cannes 1988 où il obtint le Prix de la mise en scène, en est un peu la continuité. Sur le plan dramaturgique, l’œuvre est découpée en cinq chapitres, un prologue et quatre parties. Dans La table des rêves, un bistrot en plein air évoque les souvenirs et les espoirs. Recherche voit Rosi (Susu Pecoraro) chercher son époux (Miguel Angel Sola) de prisons en casernes. L’amour et rien d’autre relate la jalousie de Floreal quand il apprend que Rosi a un amant (Philippe Léotard). Dans Mourir fatigue, le cinéaste filme la lassitude du militant et ses retrouvailles avec l’épouse. Chacun de ces segments établit des passerelles avec les autres, par le biais de flash-back ou de rêves qui donnent au spectateur une certaine marge de manœuvre pour en interpréter tous les codes. Baroque et réaliste, tragique et léger, le film est une longue songerie sur l’amertume du souvenir et la fragilité de l’espoir. Dans cette structure non linéaire, drame individuel tragédie collective sont imbriqués.
Car si l’emprisonnement de Floreal l’a coupé de sa femme et de ses amis, le sentiment de répression de tout un peuple est rappelé dans la narration, des emprisonnements arbitraires aux interrogatoires musclés. La force de Solanas est de cerner la réalité historique tout en proposant une approche onirique, signe du trouble de la mémoire, du traumatisme d’une nation, mais aussi des doutes face une résurrection qui pourrait s’avérer précaire... La cohésion de ce puzzle sentimental et politique est assurée par la musique d’Astor Piazzola, omniprésente et enivrante. Le tango n’est pas ici un simple élément de couleur locale, il est le poumon mélodique d’un film convulsif, au ton fiévreux et tout en ruptures, qui semble suggérer que « la vie est un tango » (Copi). Outre la musique, il faut souligner la beauté de décors nocturnes avec fumigènes, créés par Solanas lui-même, et magnifiés par la photo de Félix Monti. Ce chef opérateur fut aussi celui de Luis Puenzo pour L’histoire officielle (1985), autre récit des méfaits de la dictature argentine. Le Sud a été sélectionné à Cannes Classics 2015 dans une version restaurée à l’initiative de Cinesur et Blaq Out en partenariat avec UniverCiné. Le travail en haute définition a été réalisé par le laboratoire Cinecolor - Industrias Audiovisuales S.A., et dirigé par Roberto Zambrino. Fernando Solanas a supervisé cette restauration également effectuée pour l’ensemble de son œuvre.
Gérard Crespo, AVoir ALire