Les magnétiques
Une petite ville de province au début des années 80. Philippe vit dans l’ombre de son frère, Jérôme, le soleil noir de la bande. Entre la radio pirate, le garage du père et la menace du service militaire, ils ignorent qu’ils vivent là les derniers feux d’un monde sur le point de disparaître.
"La voix, c’était toi. Moi, j’étais juste le petit frère qui poussait les boutons, mais cela m’allait très bien. On faisait de la radio, on était des hors la loi et j’étais très fier". Nous sommes le 10 mai 1981 et à la télévision apparaît le visage du nouveau président de la République française : le socialiste François Mitterrand. Bientôt, les radios FM qui prolifèrent seront légalisées, mais pour l’instant Jérôme et Philippe s’en donnent à cœur joie dans leur petite ville de province, sur leurs propres ondes de Radio Warsaw, s’enflammant sur Marquis de Sade, The Sonics, Iggy and the Stooges, pleurant sur Ian Curtis et Joy Division, inventant des jingles et mixant de sons avant d’aller poursuivre la fête arrosée, enfumée et dansante au bar ou en pleine nature.
Cette jeunesse croquant la vie à pleine dents sans deviner encore que ce moment est l’acmé d’une période libertaire que viendront refroidir les années 80 est au cœur du premier long de Vincent Maël Cardona, Les Magnétiques, un film mêlant les genres allègrement et avec beaucoup d’inventivité (de la chronique sociale à la comédie, du drame au récit romantique – une fille entre deux frères), qui a été dévoilé à la 53e Quinzaine des Réalisateurs (dans le cadre du 74e Festival de Cannes).
Vivant et travaillant avec leur père garagiste, Philippe (Thimotée Robart) et Jérôme (Joseph Olivennes) sont le yin et le yang, le premier aussi gentiment coincé (mais un petit génie du son) que le second est un centre d’attraction et d’agitation locale. L’aîné sort également avec Marianne (Marie Colomb), venue de région parisienne pour une année d’apprentissage en coiffure et pour laquelle Philippe couve un béguin secret. L’ambiance est néanmoins à l’enthousiasme débordant et à une forte complicité (le cadet mettant régulièrement au lit un Jérôme en état d’ivresse très avancé, au grand énervement de leur père). Mais c’est encore le temps du service militaire obligatoire et Philippe échoue, malgré tous ses efforts, à se faire réformer P4 (problèmes psychiques, recyclé à l’antenne en P for Peace) et le voilà envoyé pour un an sous l’uniforme à Berlin. Juste avant son départ, Marianne lui adresse quelques signaux encourageants… Philippe trouvera-t-il sa propre voix, ses propres ondes, dans le monde des mâles alpha ? Et que se passera-t-il en son absence ?
Dynamique, surfant sur un indéniable potentiel de sympathie (deux très bons interprètes principaux) et parsemé de passages plutôt drôles, Les Magnétiques utilise à merveille la musique sous différentes formes très créatives afin d’électriser le récit. Jouant toutes ses cartes avec un culot réjouissant (en dépit d’une légère baisse d’originalité finale), le film traite également souterrainement d’une bascule générationnelle en germe, des limites d’une existence provinciale, d’un monde géopolitique en pleine gestation (les muses de l’underground musical mondial s’encanaillent à Berlin-Est), d’un temps résonnant du mauvais présage de la mort de Bob Marley… Le règne des K7 et des vinyles touchait presque à sa fin, la société allait prendre le virage du business et de la rigueur, et se profilait l’âge adulte avec ses choix parfois dramatiques ou dépressifs, ses idylles envolées. Mais n’oublions pas, comme le chantaient The Undertones, "Teenage dreams so hard to beat".
Fabien Lemercier, Cineuropa