Notturno
La vie quotidienne des habitants derrière les guerres civiles, les dictatures ou les invasions. Des histoires différentes sont réunies dans une unité qui dépasse les frontières. La guerre n'apparaît pas directement : nous l'entendons dans les chants tristes des mères, dans le bégaiement des enfants blessés, dans une pièce de théâtre sur l'absurdité de la politique jouée par les patients d'un hôpital psychiatrique…
Notturno, annoncé comme "un film de lumière sur l’obscurité de la guerre", a été tourné le long des frontières de l’Irak, du Kurdistan, de la Syrie et du Liban, dans la lueur tremblante d'une guerre apparemment sans fin, qu’elle soit civile, étrangère ou instiguées par les terroristes. À travers des vignettes méticuleusement assemblées, Rosi compose un portrait plein de compassion de la vie quotidienne sur la ligne de front, donnant un visage et une voix à ceux qui se réveillent tous les matins pour vivre un jour de plus dans cet endroit troublé du monde. La plupart des gens là-bas ont vécu des horreurs de première ou de seconde main. Un groupe de vieilles dames entonne un champ funèbre pour les fils qui ont été tués.
Des enfants, anciennement prisonniers de Daech, racontent leurs expériences à travers des dessins, qu'on voit épinglés sur un large panneau dans une classe – et la vue de ces gribouillages enfantins qui représentent des actes affreux risque de hanter le spectateur pendant un certain temps. Des patients dans un hôpital psychiatrique préparent un spectacle thérapeutique sur l’absurdité de différentes politiques. Un jeune couple sur un toit attend la pluie en partageant une chicha dont les gargouillements se fondent dans un montage sonore qui comprend aussi les explosions qu’on perçoit au loin. On tire avec le fusil d’un chasseur d’oiseaux, ce qui produit un étrange écho qui s’avère un coup de fusil d’un tout autre genre. Ces images complexes, ensemble, proposent une expérience qui, le plus souvent, ressemble à un poème, plus encore que dans les films précédents de Rosi. Dans une scène, qui n’est pas sans évoquer La Strada de Fellini, on voit un cheval qui se tient au milieu de la rue dans une ville : on ne sait pas bien pourquoi est là, mais l’image est assez glorieuse.
Une autre preuve de ce lyrisme : Notturno se déploie comme une journée ordinaire de cette vie particulière, toujours à côté de, mais jamais vraiment plongée dans les combats. L’expérience n’est pas immédiate (quelques lignes d’explication sont fournies au début du film, après quoi le spectateur est seul) mais très doucement, les voix et les visages gagnent en clarté. De grandes questions sont tranquillement soulevées et des rencontres, modestes mais poignantes, restent imprimées en vous, font des méandres à travers votre esprit et vos sens et résonnent encore longtemps après que la lumière se soit rallumée dans la salle.
Jan Lumholdt, CinEuropa