Le Cèdre d'octobre
Le 17 octobre 2019, un soulèvement populaire sans précèdent a vu le jour au Liban. Le peuple libanais est descendu dans la rue pour dénoncer la hausse des taxes, réclamer plus de justice sociale mais éga- lement la chute d’un système corrompu. Le Cèdre d’Octobre revient sur les quatre premiers mois de la révolte et donne la parole aux militants, artistes, manifestants, hommes, femmes de tout âge et de toutes confessions.
En première partie, BRISES: BEYROUTH 6.07, de Carol Mansour (17')
Salim Saab a tourné un documentaire – Le Cèdre d'Octobre – sur et pendant la révolte de l'automne 2019. Qu'il nomme avec certitude «révolution» et qu'il sort un an après avec les moyens du bord – il a tout monté seul, du début à la fin. Le bonhomme, né en 1981 et aux portes de la quarantaine, était descendu dans la rue avec les manifestants. Et il a filmé des jours durant avec le parti pris d'être l'un des leurs. Tout y est donc, puisqu’on est dedans. Les témoignages, les cris, les visages au moment d’entonner les slogans, les analyses au débotté ou au contraire, fignolées et mâturées. Un témoin y compare ces semaines de mobilisation (d’octobre à janvier) à la thérapie de groupe qui n’a pas eu lieu après quinze ans de guerre civile (de 1975 à 1990, environ 200 000 morts). Et qui a fini de déchiqueter le Liban en fins confettis politiques et confessionnels.
Sa trame ? Un croquis, celui qui raconte en creux une corruption galactique et un Etat gérant le pays comme une multinationale abusant de plans sociaux – et transformant par ricochet le Libanais lambda en employé précaire. Au vrai, ce film, d'une heure environ, est un encouragement permanent à dévorer toute la littérature autour de l'histoire d'un pays de 10 500 km2. Dont on jurerait au regard des clivages et des sous-clivages qu'il est au moins mille fois plus grand. Tout y est, en sus, concernant les causes profondes du marasme. Guerre, religion, argent – la trinité diabolique. Salim Saab défend son fil directeur : pour la première fois, des gens se sont mobilisés en se mettant à nu, comme s’ils avaient déclaré leur indépendance vis-à-vis de l’Etat et des carcans. Aussi, des Libanais ont mis, lors des manifestations, les idéaux sociaux avant Dieu, les communautés et tous les prés carrés qui poussent chacun à s’attacher à son confetti et à rejeter celui des autres. Un an après le tournage, l’auteur est profondément confiant pour la suite : une digue mentale a cédé chez le citoyen lambda depuis octobre 2019. Salim Saab est journaliste-artiste, tenant d’une ligne panarabiste (dont l’Egyptien Gamal Abdel Nasser fut le champion) et culturelle dans ses travaux. Une enfance entre Beyrouth, Noisy-le-Grand (petite couronne parisienne) et Limassol (Chypre), au gré des exils des parents, intellectuels tiraillés entre l’envie de rester et la nécessité de s’en aller quand les choses tournent mal : il se rappelle d’un obus tombé dans la cour de récréation de son école. Il a écrit du rap en français et en arabe, sorti des albums, anime une émission à la radio (Monte-Carlo Doualiya) et réalisé d'autres documentaires, dont un sur le hip-hop au Liban (arrivé en 1994, entre autres via la diaspora) et un autre sur la place de la femme arabe dans les cultures urbaines.
Libération, Novembre 2020