Jade
Au cours de son enquête sur l’assassinat d’un milliardaire de San Francisco, l’assistant du procureur David Corelli remonte une piste qui le conduit aux plus hautes sphères politiques de l’État, où gravite une dangereuse prostituée de luxe… Écrit par le scénariste de Basic Instinct, sommet du thriller érotique, Jade réunit efficacement les codes du genre: un meurtre, une femme fatale et beaucoup de manipulation.
«Le film traite de masques et de dédoublement de la personnalité. C'est aussi une manière pour moi de suggérer que les gens très riches aux Etats-Unis sont les artisans de leur propre mort, dans cette façon qu'ils ont de vénérer l'argent, le pouvoir et le sexe. Cette combinaison des trois éléments mène le système judiciaire et politique américain. Regardez le procès O. J. Simpson» (William Friedkin)
En 1995, la critique s'est passablement défoulée sur ce vieux loustic de William Friedkin, dont la splendeur des années 1970 (le temps de French Connection et de l'Exorciste) apparaissait alors comme un souvenir fossilisé par une nuée de films bâclés, indignes de son rang (la Nurse, Blue Chips), commis durant une grosse décennie. Circonstance aggravante, Jade est écrit par le scénariste de Basic Instinct, Joe Eszterhas, et ce qui aurait pu apparaître comme un parfait argument de vente s'est au contraire retourné contre ce polar érotique, perçu comme une photocopie putassière du hit de Paul Verhoeven. Jade ne mérite pourtant pas ce trop-plein de haine. Son rythme alerte, sa description ricanante, carnavalesque, du gratin bourgeois dégénérescent de la côte ouest, ses personnages rugueux, fonceurs, assurent au spectateur une satisfaction primitive, immédiate. Surtout, on y voit par éclairs le signe d'une rémission de Friedkin, géant endormi dont le talent hors norme émerge lors d'une grande scène de poursuite en voiture. Certes moins aboutie que l'acmé de Police fédérale Los Angeles, son polar survitaminé des années 1980, la séquence, presque un mini-film, fait jaillir les forces vives de son cinéma: plaisir sadique de la rupture et du déséquilibre, suspense moins construit sur le mode du compte à rebours qu'envisagé comme une affaire purement charnelle - ce cadre qui tremble est comme branché sur les terminaisons nerveuses de Corelli.
Un dernier mot sur Linda Fiorentino, icône du film noir de l'époque, qu'il n'est pas interdit de voir comme l'envers absolu de Sharon Stone. Pas seulement sur le plan capillaire : là où la blonde cabotine gaiement, cette brune joue d'une sobriété totale qui densifie d'autant sa mystérieuse aura.
Guillaume Loison, Le Nouvel Observateur