To Live and Die in L.A.
À la mort de son coéquipier, abattu lors de l’arrestation manquée d’un faux-monnayeur, l’agent fédéral Richard Chance devient obsédé par l’idée de se venger. Prêt à tout pour y arriver, quitte à frayer avec l’illégalité, il entraîne dans son sillage son nouveau partenaire… Un thriller nerveux, à la narration éclatée et au montage virevoltant. «Sorte de variation de French Connection aux accents de Big Heat (Fritz Lang) gonflée aux pixels télévisuels et aux drogues nouvelles qui palpitent comme le botox dans le corps d’une époque asservie à l’ultralibéralisme. Un film qui ressemble à ses sujets, nerveux, sensibles et désabusés, mais qui se voudrait aussi en lutte permanente contre tout ce qui les entoure, à l’image du cinéaste jetant ses poings dans le vent»
Lucien Halflants, www.cultureopoing.com
A l’origine de Police fédérale, Los Angeles, qui ressort en salle, il y a un livre écrit par Gerald Petievich, un ancien de ce que l’on appelle le « secret service », une unité de la police fédérale compétente à la fois pour la protection des hautes personnalités et pour la répression des contrefaçons et escroqueries monétaires. C’est, selon William Friedkin lui-même, cette particularité « bifonctionnelle » (passer de la protection rapprochée du président des Etats-Unis à la poursuite de voleurs de cartes de crédit) qui l’aurait conduit à s’intéresser au roman de Petievich, avec qui il en écrira l’adaptation pour l’écran, élaguant significativement le matériau d’origine.
Le film, sorti en 1985, détaille les étapes de la traque menée par deux agents des services secrets, Chance et Vukovitch (interprétés respectivement par William Petersen et John Pankow), d’un habile faussaire, Masters, qui fabrique de la fausse monnaie et est le meurtrier du précédent coéquipier de Chance. Salué à juste titre comme un retour en grande forme, au milieu des années 1980, de l’auteur de L’Exorciste, le film retrouve ce goût de l’ambiguïté qui définissait les personnages de son French Connection en 1971, mais acclimaté à un nouvel air du temps.
Sourd à toute objurgation éthique, Chance est obsédé par un désir de vengeance au nom duquel il multipliera pressions, chantages divers et irrespect des règles s’imposant à un policier. Face à lui, le luciférien Masters (excellent Willem Dafoe), faussaire, artiste peintre et criminel, apparaît porté par une souveraineté flamboyante qui manque singulièrement aux policiers à ses trousses.
Chance est une tête brûlée qui se jette régulièrement dans le vide (un motif central de l’œuvre de Friedkin) à la fois littéralement (il s’amuse à se lancer du haut d’un pont vertigineux pour tenir des paris avec ses collègues) et métaphoriquement. Cette manière de fuite en avant écervelée favorise dès lors, par un effet paradoxal, un certain nombre d’actes particulièrement maladroits.
Les deux policiers multiplient les bévues et les bavures, assistent impuissants au meurtre d’un homme qu’ils surveillaient, laissent échapper un témoin, font abattre un agent du FBI infiltré. Police fédérale, Los Angeles est une symphonie des bras cassés, un concerto de ratages récurrents et de maladresses diverses. L’époque ne semble plus être celle de l’action efficace (horizon modèle du cinéma américain), mais de l’action se retournant contre elle-même.
Saisissant par son montage, sa bande musicale due à Wang Chung et sa photographie signée Robby Müller (le chef opérateur de Wim Wenders), le clinquant hédoniste des années 1980, Police fédérale, Los Angeles s’affirme comme un pur théâtre de la dépense, désignée tout autant par les initiatives aveugles des policiers (déclenchant notamment une spectaculaire poursuite en voitures) que par la fureur destructrice de Masters, brûlant régulièrement ses propres tableaux ainsi que des billets de banque par poignées.
Le plus remarquable du film reste quelque chose qui semble s’être perdu à Hollywood depuis longtemps : un pessimisme profond et une violence sèche, dénuée de toute emphase, seule façon de rendre intense et tragique un maniérisme typique de son temps et de son espace.