303
Ils sont étudiants, dans la vingtaine. Elle s’appelle Jule, et lui Jan. « Ils se sont trouvés au bord du chemin, sur l’autoroute des vacances », comme dans la chanson. Ou plus exactement, dans une station-service, non loin de Berlin : partie sur un coup de tête, Jule faisait le plein de son « 303 », vieux van brinquebalant, et Jan cherchait un covoiturage. Elle accepte de l’emmener. Direction : le Sud. L’Espagne pour lui, en quête d’un père inconnu. Le Portugal pour elle, vers un amoureux de plus en plus lointain. En additionnant les kilomètres, les disputes et les débats politiques, les confidences et les moments doux, ces deux-là transforment peu à peu l’Europe en carte du Tendre. C’est une romance en mouvement, un road-movie ensoleillé, mais ces étiquettes banales, qui collent à tant d’autres films, ne rendent pas assez justice à la délicatesse de celui-ci. Les sentiments s’ouvrent lentement sous nos yeux, mouvement presque imperceptible mais inexorable : on a rarement l’occasion, au cinéma, de voir ainsi naître l’amour, presque en temps réel. Hans Weingartner sait capturer la fragile progression de l’intimité, le modeste miracle d’une rencontre. Tout y contribue, la beauté limpide et changeante des paysages, les aléas ordinaires d’un long trajet, autant que les dialogues, qui semblent échappés d’un conte philosophique : elle croit à la solidarité, à la bonté ; pas lui. Et ils s’opposent, sur la nature humaine ou la violence libérale, avec la docte fraîcheur d’un couple de héros rohmériens. A travers eux, le cinéaste esquisse, sans le surligner, le portrait attachant et complexe d’une génération un peu perdue, toujours lumineuse. Libres, sensuels et vrais, Mala Emde et Anton Spieker sont les moteurs vibrants de cette échappée belle.
Cécile Mury, Télérama