Pain, amour et fantaisie
Dans un petit village de la campagne italienne, le nouveau maréchal-carabinier Antonio Carotenuto vient prendre ses fonctions. Vieux garçon grisonnant, il compte bien, sur place, trouver le calme nécessaire à la satisfaction de ses attentes culinaires et surtout sentimentales.
Triomphe commercial et grand classique du cinéma transalpin réalisé par Luigi Comencini, Pain, amour et fantaisie présente un réjouissant imbroglio amoureux sur fond de satire villageoise.
(…) En reprenant un rôle qui avait au départ été écrit pour Gino Cervi (comédien originaire d’Emilie-Romagne) et en se l’appropriant, Vittorio de Sica contribue en effet largement à la nature badine et avenante du film. Avec sa présence, des situations ou des répliques qui auraient pu faire tendre le film vers autre chose de plus dramatique ou de plus social (pensons notamment à ces maisons détruites par des bombardements ou des tremblements de terre) prennent une couleur plus comique et plus futile. Chez De Sica comédien, la solennité se mêle toujours à la malice, et ses déclarations d’amour enfiévrées à califourchon sur sa bicyclette l’illustrent parfaitement. Mais c’est aussi en partie pour cette raison que le film n’a pas le mordant des futures comédies des années 60 que nous avons précédemment évoquées : si les habitants passent bien leur temps à observer, à cancaner, à déformer les propos ou à interpréter les gestes pour le plaisir de la rumeur, cela ne prête jamais réellement à conséquence, et l’objet de leurs ragots (en l’occurrence le maréchal De Sica) les endosse toujours avec bienveillance et jovialité. A ce titre, Pain, amour et fantaisie présente une bien plus grande proximité avec un film comme Le Petit monde de Don Camillo, tourné par Julien Duvivier l’année précédente, avec Gino Cervi d’ailleurs, et dont l’action se déroulait dans la plaine du Po (le village imaginaire de Sagliena, dans Pain, amour et fantaisie, pouvant probablement être situé en Italie Centrale, par exemple dans les Abruzzes) : ces deux films traduisent, à leur manière, un mode de vie « all’italienne » , où le caractère tempétueux se mêle à la culture du farniente, où la rusticité se mêle à l’esprit... Tant dans son décor (avec ses ruelles pierreuses et ses arrière-plans sur des collines recouvertes de vignes) que dans ses aspects culturels (l’importance de la nourriture ou de la religion), tant dans sa structure en vignettes que dans la caractérisation de ses personnages, qui viennent en droite ligne de la commedia dell’arte, Pain, amour et fantaisie est un film profondément italien, et c’est peut-être là plus qu’ailleurs qu’il faut chercher la raison de son succès exceptionnel.
Un dernier mot, enfin, car une histoire du cinéma italien pourrait également s’écrire, de façon fort plaisante, par le biais de ses actrices... On pourrait parler de la très distinguée Marisa Merlini, qui incarne ici la sage-femme, mais en réalité, s’il ne doit, des années après le visionnage, rester à l’esprit qu’une seule image de Pain, amour et fantaisie, il y a fort à parier que Gina Lollobrigida figurera sur celle-ci. Tour à tour colérique et rieuse, séductrice redoutable et petit chaton apeuré, amoureuse transie et furie revêche, saluée pour sa sensualité comme pour sa pureté d’âme, elle incarne - et avec quelle chair - toutes les femmes en une, devenant ainsi l’objet de tous les fantasmes masculins. Là encore, peu de cinématographies de par le monde ont su comme le cinéma italien magnifier à ce point leurs actrices, en leur proposant des rôles de femmes fortes, désirables et attachantes. Son sourire et sa voix chaude sont les atouts ultimes de cette comédie charmante, tout à fait symptomatique de la simplicité rayonnante dont le cinéma italien pouvait alors être capable.
Antoine Royer