Le Voleur de bicyclette
Rome, en 1948. Le chômage règne. Engagé comme colleur d’affiches, Antonio Ricci se voit contraint de vendre des effets personnels pour pouvoir s’acheter un vélo, indispensable à son nouveau travail. On ne tarde pas à le lui voler. Il part à la recherche du voleur avec son fils...
Film-phare du néo-réalisme italien !
Avec Rome, ville ouverte, le film révolutionnaire qui fonda le mouvement, c’est l’œuvre la plus célèbre du néo-réalisme. Réflexion immédiate sur le présent, compassion minutieuse envers les humbles luttant pour leur survie dans un monde où tout est à reconstruire : telles sont les deux lignes de force principales du néo-réalisme. Présentes dans l’un et l’autre film, elles s’y répartissent différemment. La réflexion l'emporte chez Rossellini, la compassion (toujours très pudique) chez De Sica. Celui-ci avait réuni dans son un certain nombre d’éléments qui allèrent droit au cœur du public : dignité du ton et des personnages, lyrisme sous-jacent, refus du désespoir. Il s'en ajoute un autre, un peu plus mystérieux. Comme s’il se méfiait du réalisme pur, du réalisme pour le réalisme, De Sica sème sur le parcours de son personnage des signes ambigus qui maintiennent en éveil l'attention du spectateur. Il satirise d’abord la superstition populaire, mais dans la seconde scène où apparaît la voyante, elle dit au héros : «Ta bicyclette : ou tu la retrouves tout de suite ou tu ne la retrouves jamais» . Il se trouve qu'elle a raison sur les deux points. Rome, d'autre part, est décrite tout au long du film comme un labyrinthe (assez peu réaliste) où le héros et son voleur, toujours très proches l’un de l’autre dans l’espace, semblent jouer à cache-cache et finissent par échanger leurs rôles comme dans la thématique hitchcockienne. Le voleur, découvert, apparaîtra comme une victime et la victime deviendra voleur à son tour. Cette péripétie finale — très habile — se répercute à plusieurs niveaux : psychologique, social, moral, spirituel. L'ultime misère du chômeur est en effet cette perte d'identité accompagnée d’une perte, non moins grave, d'estime de soi. On voit nettement à travers ce film ce qui impressionna le public dans le néo-réalisme : qu’une intrigue au départ extrêmement ténue, faite de péripéties quotidiennes et minuscules, finisse par avoir des échos si considérables qu'ils atteignent peu à peu toutes les couches de conscience du protagoniste et, en même temps, du spectateur.
Jacques Lourcelles