Fête de famille
« Aujourd’hui c'est mon anniversaire et j'aimerais qu'on ne parle que de choses joyeuses. »
Andréa ne sait pas encore que l'arrivée « surprise » de sa fille aînée, Claire, disparue depuis 3 ans et bien décidée à reprendre ce qui lui est dû, va bouleverser le programme…
Depuis Festen (Thomas Vinterberg, 1998, dont l'affiche française fait d'ailleurs apparaître le sous-titre Fête de famille), les réunions de famille qui virent à une terrible séance des quatre vérités ont fait florès au cinéma. (…) Alors que Festen est ressorti en salles à l'automne 2018, Cédric Kahn met la famille à la fête dans son onzième long métrage et se confronte à cet héritage cinématographique. Jusqu'à présent, Cédric Kahn a filmé plutôt des trajectoires individuelles (même si La Prière témoignait déjà d'un intérêt pour le collectif). (…) Kahn démontre ici une indéniable maestria dans la manière dont il s'approprie un canevas désormais classique. Le drame est bien construit, les rapports humains sont mis en scène avec justesse et sensibilité, les acteurs sont remarquablement dirigés. Tous jouent leur partition, sans jamais succomber à la tentation du morceau de bravoure. Pourtant, dans ce film collectif, Claire s'affirme comme le personnage principal : le premier grand personnage féminin de Cédric Kahn mais que sa folie — tour à tour paranoïaque (Feux rouges), nymphomane (l'obsession sexuelle du héros de L'Ennui), suicidaire (la démence meurtrière de Roberto Succo) — insère parfaitement dans la filmographie du réalisateur.
Cependant, un mystère traverse le film. Cette folie est-elle réelle, feinte ou présumée ? Si Claire devient le personnage principal du film de Kahn, c'est aussi parce que sa famille, fait d'elle un personnage. Lorsqu'elle s'éclipse dans la salle de bains, telle une diva, on commente son apparence, on s'interroge sur son absence, sur ses raisons, sur sa santé mentale, on conjecture, on conclut. Claire brouille les pistes, donne des informations contradictoires. Ne fait-elle que se prêter de bonne grâce à ce petit jeu ? La question du vrai et du faux est, du moins dans Fête de famille, au coeur de tout drame. (…)
Mais Fête de famille n'est pas un drame au sens premier du terme. C'est un film, comme le clament ses premières images. La caméra est placée à l'intérieur d'une voiture (nous comprendrons plus tard que c'est celle du personnage interprété par Cédric Kahn) ; le pare-brise occupe tout le cadre, se faisant un double de l'écran de cinéma. A travers lui, on voit le capot s'avancer lentement à travers les battants d'un portail en fer forgé qui s'ouvrent pour lui. La maison familiale laisse entrer en son enceinte la voiture-caméra de Cédric Kahn. Tel ce capot qui se fraye un chemin dans la propriété à la majesté surannée, décor de théâtre idéal, la caméra apparaît comme un instrument permettant de trancher dans l'épaisseur des drames familiers. Tandis que ceux-ci se nourrissent d'un mystère qu'ils ne cessent d'alimenter, le cinéma apparaît comme un médium de vérité. (…) Kahn s'inscrit ainsi dans une vaste tradition. En toute modestie (et ce n'est pas la moindre qualité de son film), il ne prétend pas y apporter autre chose qu'une archive.
Louise Dumas, Positif