Héros à vendre
De William A. Weelman
Etats-Unis
- 1933
- vost
- 73'
- Noir et Blanc
- Numérique Synopsis
En 1918, Tom Holmes et Roger Winston combattent sur le front français. A cause de la lâcheté de Roger, Tom est grièvement blessé. Il est soigné, dans un hôpital allemand, à la morphine, substance dont il ne peut bientôt plus se passer. Après la guerre, Roger, qui a été décoré pour acte de bravoure à la suite d'un malentendu, rencontre par hasard Tom. Il le fait embaucher dans la banque de son père…
Critique
Très grand film de William Wellman, qui montre qu’un format assez court (à peine 1 h 10) permet néanmoins de raconter une histoire ample et qui s’étale sur de nombreuses années et en différents lieux, pour peu qu’on sache raconter une histoire. On a rarement vu un film avec une telle densité. Là où un réalisateur moderne aurait fait 3 h avec un tel scénario, Wellman montre qu’il n’est nul besoin d’engraisser un film.
Héros à vendre est découpé en plusieurs tableaux (la guerre, la banque, la pension, l’usine, etc.) et Tom Holmes (admirable Richard Barthelmess) passe son temps à se faire littéralement éjecter de chaque tableau, les uns après les autres. Alors qu’il réussit pourtant à chaque fois, avec humilité et bonne volonté, sans cesse il se fait rejeter, repousser, il subit les événements et doit repartir de zéro. Le film est très dur pour l’Amérique : ce personnage magnifique n’est pas reconnu et, bien pire, il se fait persécuter (les deux flics qui chassent les communistes).
Le film, tourné en 1934 est dans cette petite période du pré-code où Hollywood constitue son propre code de censure mais ne l’applique pas encore. Le film aborde plein de thèmes qui seront interdits, on a même l’impression de voir un catalogue de tout ce qui sera censuré dans les années qui suivront et pendant trente ans à Hollywood. Ces différents thèmes sont abordés avec une franchise incroyable : la peur et la lâcheté au combat ; un héros morphinomane, en manque et qui va se ravitailler auprès de son dealer ; le traitement des vétérans de la guerre ; les communistes clairement désignés (le simple mot mot « red » sera interdit) ; le baiser à la tante alors que sa femme est morte ; les flics présentés comme des mafieux persécuteurs ; la façon dont le film parle de l’Amérique (« l’Amérique est finie » ; « les rubans et les médailles ne valent rien »), etc. On est très loin de la morale que construira par la suite un Hollywood censuré par le code Hays avec lequel les cinéastes devront rivaliser d’inventions, de circonvolutions et de figures de style pour ne serait-ce qu’évoquer un de ces thèmes.
Mais l’altruisme de Tom Holmes – qui préconise, dans ses valeurs, le héros à la Capra (simple, humble, digne et intègre) – est récompensé : c’est bien son portrait qui orne le commerce familial et son fils veut lui ressembler (« mon père ce héros »). On peut admirer longtemps un film qui dit tant et si bien avec une telle concision.
Atticus, «Le goût du cinéma»