THE MUMBAI MURDERS
À Mumbai, un inconnu nommé Ramanna commet des crimes sauvages en s’inspirant de Raman Raghav, un psychopathe schizophrène qui sema la terreur en Inde dans les années 60. Un policier instable, Raghavan, s’est juré de le retrouver et de l’arrêter. Mais lequel est réellement la proie de l’autre ?
C’est un tueur nonchalant, qui frappe au hasard en traînant son arme pas banale — une lourde clé à écrou. Avec l’outil, il démolit brutalement ses victimes. Ce serial killer qui ne fait pas dans la dentelle est un gueux errant dans la métropole trépidante de Mumbai (Bombay). Un policier, la trentaine, le traque sans relâche. Celui-ci a une gueule de beau ténébreux dissimulé derrière des lunettes de soleil, ne dort jamais, sniffe de la coke du matin au soir. Pour quiconque s’imagine que le cinéma indien se limite encore aux comédies musicales ou au traditionnel film social, ce thriller pop, violent, grouillant d’idées, apporte un démenti cinglant.
Révélé avec Gangs of Wasseypur 1 et 2 (2012), puis avec Ugly (2013), Anurag Kashyap poursuit sur la lancée. Plans-séquences ou découpage très serré, angles de vue biscornus, surimpressions et couleurs très contrastées : le cinéaste déploie un talent baroque, protéiforme. Il multiplie les registres, passant de l’extrême tension — la scène où le psychopathe s’incruste chez sa sœur, prend en otage son mari et son fils est un moment de terreur pure — à la farce, au décalage grotesque. Il y a un peu de Tarantino chez lui.
Le meurtrier lui-même est un bateleur imprévisible. Cabot, il peut être souriant, ce qui le rend d’autant plus terrorisant. Il se prend pour Dieu et, comme lui, semble omniscient, capable de devancer tout ce que fait son rival, le flic, son frère ennemi. Ou, si l’on préfère, l’autre face de Janus.
Car plus le film avance, plus le chasseur et sa proie se confondent. Le mal est des deux côtés, le flic s’avérant être un junkie déjanté, pervers lui aussi. Le portrait qu’en tire le réalisateur est, hélas, plus faible et répétitif que celui du criminel illuminé. Mais leur affrontement mâtiné d’attrait réserve pas mal de rebondissements et une course-poursuite éclairante à travers la ville labyrinthique, révélant la prospérité flamboyante comme la misère des bidonvilles, la violence faite aux femmes. On ressort remué par ce film plein d’énergie vicieuse et de noirceur. A l’unisson du morceau langoureux de trip-hop qu’on entend un moment, où la voix féminine pulse : « Ta vie est un tapis tissé de paris manqués. Ton cœur a disparu sous une couche de moisi. Encore un petit coup, défais-toi de tous tes liens. »
Jacques Morice, Telerama