Double Mise
John a perdu tout son argent. Il rencontre Sydney et tous deux partent pour Reno. Sous la tutelle de Sydney, John devient un joueur professionnel. Il tombe également amoureux...
Une station-service entre Reno et Las Vegas. John (John C. Reilly, tout en naïveté pataude), la trentaine larguée, n’a même pas de quoi payer l’enterrement de sa mère. Arrive Sydney, la soixantaine chic et laconique, qui lui apprend à devenir joueur professionnel. Pourquoi est-il si généreux ?
Ambiance nocturne, claustrophobe et poisseuse, dans le huis clos des casinos, le clignotement des machines à sous. En 1996, Paul Thomas Anderson plantait, pour Hard Eight, son premier long métrage, un parfait décor de film noir, avec ses paumés et ses demi-truands (Samuel L. Jackson dans un grand numéro très « tarantinien »), ses accros au black-jack et sa jolie gagneuse désabusée (Gwyneth Paltrow, dure et fragile). Il s’agit cependant, dans ce film étouffant, presque méditatif, de bien autre chose. Un tableau en clair obscur, sourdement amoral, de l’ambiguïté des êtres et des sentiments, des chemins tordus que peut prendre une éventuelle rédemption. Et aussi le formidable portrait d’une vieille canaille, ce Sydney au passé mystérieux, aux motivations non moins obscures. Avec sa voix profonde, son maintien impérial, son inquiétante douceur, Philip Baker Hall est magistral. Comme ses partenaires John C. Reilly et le regretté Philip Seymour Hoffman (le temps d’une impressionnante participation « amicale » ), il tournera encore plusieurs fois avec le réalisateur. Elégant et désabusé, ce film préfigure les notoires réussites d’Anderson : même intelligence cruelle des personnages, même virtuosité formelle, même fascination pour la figure ambiguë du mentor, qui, de Boogie Nights à Magnolia, et jusqu’au tout récent Phantom Thread, hante son cinéma.
Cécile Mury, Télérama