A l'Ecole des philosophes
Les premiers pas à l'école de cinq handicapés mentaux qui vont devoir apprendre à vivre ensemble. Une mission quasi impossible tant ils semblent enfermés sur eux-mêmes. Mais, peu à peu, la classe va prendre forme sous nos yeux et ses élèves progresser envers et contre tout, au plus grand étonnement et bonheur de leurs parents. Avec humour et tendresse, l’aventure d’un petit groupe d’enfants pas comme les autres qui s'ouvre à la vie et au monde.
Ils sont «nés du mauvais côté du hasard». Albiana est atteinte du syndrome de Down. Une mitochondriopathie dégénérative a été diagnostiquée chez Chloé. Louis et Léon souffrent d’autisme, Kenza d’hypotonie. Ils ont 4 ans, et voici leur premier jour d’école.
Nouvelle classe
Le «premier jour» est un rendez-vous qu’apprécie Fernand Melgar. Entre 2000 et 2003, il a consacré dix courts métrages à ces moments où l’on risque un pas vers l’inconnu – adoption d’un enfant, rentrée scolaire ou débuts professionnels… Béatrice, l’héroïne trisomique de L’apprentissage, a d’ailleurs déterminé A l’école des Philosophes. Le cinéaste lausannois venait de décliner la proposition que la Fondation de Verdeil lui avait faite de consacrer un film à ses soixante ans d’activités. Il s’est ravisé en croisant Béatrice à la piscine.
Il a visité les douze établissements pour enfants et adolescents que la fondation gère dans le canton de Vaud. Le dixième, sis rue des Philosophes, à Yverdon, s’est imposé comme la scène du film. En plus, fait rare, une classe allait se constituer, alors que généralement les nouveaux élèves intègrent des groupes déjà formés.
Porté par cet amour des gens qui fait la force de son cinéma, Fernand Melgar a passé un an à l’école des Philosophes. Il en a ramené 548 heures de rushes. Le film témoigne une nouvelle fois de son art de se fondre dans un milieu pour en capter les gestes et les regards traduisant une réalité proche et méconnue.
Vivre ensemble
C’est le premier jour d’école. Chaos et panique. Les gosses s’agitent dans tous les sens comme des insectes affolés ou restent prostrés. Planté devant une fenêtre pluvieuse, le petit Louis appelle son papa. Ce plan particulièrement douloureux fait ressentir la profonde détresse de l’enfant. Les accompagnantes, sous la houlette d’Adeline, ont tout de l’ange descendu sur terre. D’une patience infinie, d’une présence de chaque instant, elles apprivoisent les gosses. Elles leur prodiguent d’incessants encouragements, félicitations et remerciements. Elles leur enseignent à s’acquitter de petits rituels (chanter «Savez-vous planter les choux?»), à prendre confiance en soi, à apprendre à vivre ensemble.
Le contrechamp donne la parole aux parents, marqués par l’épreuve, mais heureux de ce qu’ils reçoivent de leur enfant différent. «Nous avons cinq sens, ces enfants un ou deux de plus que nous», pense Adeline, et le film semble lui donner raison. Un miracle a lieu devant nos yeux. La classe se structure. Les enfants progressent, se socialisent, les âmes prisonnières éclosent. Les regards s’allument, les mots viennent aux lèvres. Albiana cesse de réclamer de l’affection en tapant les autres, Kenza redresse la tête, Chloé arrive à se mouvoir. Aux bains de Saillon, la classe se laisse dériver au fil de l’eau, libérée de toute pesanteur, comme réconciliée avec la vie. A l’école des Philosophes est beau comme le printemps.
Antoine Duplan, Le Temps