LES HARMONIES WERCKMEISTER
Une petite ville industrielle de Hongrie. Quelques hommes, attablés, partagent un dernier verre dans le bistrot du coin. Surgit soudain un autre homme, Janos Valushka, qui pousse toutes les tables et leur demande de bien vouloir mimer une éclipse de soleil. Plus tard, sur la place du marché. L'arrivée d'un cirque et de ses attractions principales, «la plus grande baleine du monde» et un mystérieux prince, requiert l'attention de tous. Des ouvriers au chômage protestent : les réjouissances sont trop chères. Et comme en plus, «la plus grande baleine» ne tient pas ses promesses, la contestation tourne à l'émeute. Les ouvriers s'en prennent à l'hôpital de la ville, qu'ils saccagent...
Cinéaste culte, auteur d'une dizaine de films jusque-là réservés aux happy few des festivals, Béla Tarr, que l'on peut classer hâtivement dans la famille des Tarkovski et autres Sokourov, tourne depuis 1977. Les Harmonies Werckmeister est le dernier volet d'une trilogie officieuse, amorcée avec Damnation (1988) alias Perdition , et poursuivie avec le très long Satantango (1991-1994, durée 7 h 30 !), sommet indépassable. Cette trilogie hongroise, écrite par Tarr avec le romancier Laszlo Krasznahorkai, mêle un sens de l'absolu, voire de la sainteté, à un constat sur la déréliction des individus, sur la déchéance absolue des petites villes et des campagnes de l'Est, figées dans le froid, l'attente, l'abandon et l'oubli. Loin du naturalisme devenu la norme du cinéma européen, Tarr fabrique ses univers de toutes pièces. Le son, les dialogues, comme chez de grands cinéastes d'antan (Fellini, Bresson, Tarkovski), sont postsynchronisés. L'image est en noir et blanc profond. (...)
Béla Tarr déforme, exagère, appuie. C'est un "transfigurateur" de réalité. Magnifique.
Vincent Ostria, Les Inrocks