Le Collier rouge
Dans une petite ville, écrasée par la chaleur de l’été, en 1919, un héros de la guerre est retenu prisonnier au fond d’une caserne déserte. Devant la porte, son chien tout cabossé aboie jour et nuit. Non loin de là, dans la campagne, une jeune femme usée par le travail de la terre, trop instruite cependant pour être une simple paysanne, attend et espère. Le juge qui arrive pour démêler cette affaire est un aristocrate dont la guerre a fait vaciller les principes. Trois personnages et, au milieu d’eux, un chien, qui détient la clef du drame…
Entretien avec Jean Becker
Il y a une première chose frappante quand on regarde LE COLLIER ROUGE : à bientôt quatre-vingt cinq ans, vous avez réalisé un film de jeune homme, avec des scènes de bataille, de la figuration bref une véritable épopée de cinéma. C’était une de vos envies en vous lançant dans ce quinzième film ?
Non pas vraiment, c’est avant tout cette histoire qui s’est imposée. Jacques Witta, qui a longtemps été mon monteur et qui est aujourd’hui à la retraite, m’a un jour parlé du roman de Jean-Christophe Ruffin, «Le Collier Rouge»... Jacques était persuadé que le livre me plairait et que j’y verrais un sujet de film. En lisant, je me disais que les scènes de guerre seraient compliquées à mettre en scène pour un réalisateur de mon âge ! Mais après réflexion, en effet, l’histoire m’a touchée et j’ai décidé de me lancer, en sachant qu’il y aurait des gens qui m’aideraient dans les moments plus compliqués, comme Yves Angelo qui a été bien plus qu’un chef opérateur ou Louis mon fils, qui a été bien plus qu’un producteur. Il m’a soutenu avec beaucoup de force ... Et à l’arrivée, ça me fait plaisir quand on me dit que le résultat fait penser au travail d’un jeune metteur en scène !
Revenons au roman de Jean-Christophe Ruffin. En tant que lecteur, qu’est-ce qui de suite vous accroche en tant que lecteur ?
Je lis de moins en moins car j’ai maintenant de vraies difficultés de vue et ce qui m’a frappé c’est la facilité d’écriture de Jean-Christophe. J’ai dévoré «Le collier rouge» d’un trait, en me disant à chaque page que cette histoire était extrêmement visuelle tout en étant très simple à comprendre. J’aime ça aussi au cinéma : s’asseoir dans une salle, être entraîné jusqu’à la fin du film sans s’ennuyer...
Cela veut dire que dès cette lecture vous aviez en tête des plans de votre futur film ?
Vous savez, je dis toujours que je n’ai aucune imagination mais que je me sers de celle des autres. En revanche, mes adaptations sont très fidèles et très travaillées ! Là j’y vois une petite forme de création ! En adaptant le roman, je voulais en garder la simplicité et ne pas juste en faire une histoire de guerre. Pour moi, LE COLLIER ROUGE c’est la rencontre de deux hommes dont l’un vient pour juger l’autre avec, au cœur de ce duo, la présence d’une femme qui aime l’un des deux, dans une relation difficile. Il fallait que les rapports humains soient au cœur du récit. Que l’on parle d’amour et d’amitié...
De quelle manière Jean-Christophe Ruffin s’est-il impliqué dans l’adaptation de son roman ?
Je voulais qu’il travaille avec moi mais il était très occupé. J’ai tout de même réussi à lui faire écrire quelques scènes et d’une manière générale, il a facilement accepté la vision que je lui proposais de son livre. J’ai ensuite demandé un coup de main à Jean-Loup Dabadie pour peaufiner les dialogues. Il a une patte pour ça on le sait et j’avais déjà collaboré avec lui sur BON RÉTABLISSEMENT ou LA TÊTE EN FRICHE... Ce qui m’a beaucoup touché, c’est devoir les yeux embués de Jean-Christophe quand il a découvert le film terminé. Il était très ému de voir cette histoire qu’il a inventée prendre vie à l’écran...
Cette histoire se déroule en 1919 après la première guerre mondiale et cent ans après, les thèmes du film sonnent d’une manière très moderne. La notion de héros, le rapport à la justice, le couple et la place de la femme dans la société...
Absolument et c’était très évident dès la lecture du roman. J’ai eu l’impression qu’il était déjà dépoussiéré sur le plan de l’époque ! Ce que raconte cette histoire est franchement révolutionnaire avec une attaque contre la manière dont on a traité les hommes de la guerre 14-18. C’étaient des héros, des vrais... J’adorais mon grand-père, qui avait vécu l’enfer des tranchées en étant blessé. Il m’avait parlé de la guerre et je me suis beaucoup documenté avant de faire le film. Quand on connaît le sujet, on comprend que l’Etat et les généraux ont envoyé des millions de gens à la boucherie. Où est l’aspect héroïque dans tout cela ?
Le personnage de Nicolas Duvauchelle, Jacques Morlac, incarne cette contradiction. Il est considéré comme un héros, il a été décoré comme tel mais il peut être jugé pour avoir d’une certaine manière déshonoré ce statut...
Pour être honnête, je suis moi-même très gêné avec ces histoires de récompenses. Je suis officier de la Légion d’Honneur car on a considéré à l’époque que j’avais accompli une œuvre qui méritait ce titre... Mais bon, on me l’a proposé et je l’ai accepté ! Ce qui m’embête, c’est de voir qu’aujourd’hui on distribue cette Légion d’Honneur comme les bons points à l’école, tout le monde y a droit ou presque... Je trouve cela galvaudé. À la fin de la grande guerre c’était un peu la même chose : les soldats survivants recevaient une médaille comme pour justifier le fait de les avoir envoyés se faire massacrer. Le personnage de Morlac est révolté mais il est aussi extrêmement lucide par rapport à l’horreur de 14-18. Une horreur qui a frappé aussi bien les français que les allemands, les anglais ou les américains. Et regardez ce qui s’est passé : on a signé l’Armistice et vingt ans plus tard, on a remis ça !
D’ailleurs dans votre film, le regard porté sur l’affaire par le commandant-magistrat interprété par François Cluzet est à la fois curieux et bienveillant. Pourtant, tous semble le différencier de Morlac : son grade, son milieu...
L’un est un paysan devenu soldat, l’autre un bourgeois officier militaire. Mais Lantier du Grez, le personnage de Cluzet en a bavé lui aussi pendant le conflit. Il se rend vite compte que Morlac a été jeté en taule pour un motif qui est certes choquant mais pas si grave au fond... Il estime qu’avec des excuses, ça devrait passer... Sauf que Morlac lui refuse de demander pardon : il considère que son acte est réellement révolutionnaire, même s’il est de l’ordre du symbole.
L’histoire du COLLIER ROUGE met en parallèle cette confrontation entre les deux hommes avec une histoire d’amour et vous lui accordez une place aussi importante dans le film...
Oui car pour moi, ce n’est pas un film sur la guerre. Il y a la dualité entre ces deux types, qui peut faire songer à GARDE À VUE ou LE JUGE ET L’ASSASSIN, avec une sorte d’enquête policière dans laquelle Lantier du Grez essaye de mettre à jour la vérité. Il y a également en effet une histoire sur la relation compliquée entre une femme et un homme, qui pense avoir été trompé par celle qu’il aime... Ce couple a lui aussi été malmené par la guerre : sans 14-18, Jacques et Valentine n’auraient jamais connu cette épreuve.(...)
Dossier de presse