"Premier long de David Lynch, cette plongée oppressante dans les profondeurs de son inconscient reste son film le plus radical.
Eraserhead fait partie des films qui divisent les gens en deux camps : ceux qui l'ont vu et les autres. On sort de la vision de ce cauchemar surréaliste extrêmement révulsé, extrêmement entiché ou encore extrêmement interloqué mais impossible de rester tiède ou indifférent. Comme un séjour en prison, un dépucelage, une première écoute du Velvet, Eraserhead est une expérience mémorable, de celles qui amènent à rebattre les cartes de son fragile château esthétique. David Lynch est loin de l'image qu'on lui colle parfois, celle de manipulateur arty, de hipster malin, de cinéaste un peu fumeux dont l'univers se limiterait à un formalisme design ou à une griffe bizarroïde. L'ancien scout de Missoula ne plaisante qu'à moitié, ses obsessions ne sont pas celles d'un esthète, elles ont pris racine dans sa plus lointaine enfance. Film intuitif plutôt que réfléchi, Eraserhead broie le noir de quelques angoisses très humaines : peur de la paternité non désirée, phobie du corps et de ses sécrétions, trouille de la prison familiale, sexe flippant... Mais sans doute ne faut-il pas trop chercher la signification profonde de cet objet monstrueux : plus qu'au sens, c'est aux sens que s'adresse Eraserhead. Et il le fait d'abord en foutant les jetons, grâce aux effets spéciaux les plus réalistes, les plus inquiétants, les plus mystérieux et les plus bricolés de l'histoire du cinéma, et à une bande-son saturée de bruits divers. Eraserhead est le film qui synthétise toutes les aspirations artistiques du cinéaste, celui qui ressemble le mieux à son idée du rôle, du statut et de la nature d'une œuvre d'art."
-Serge Kaganski, Les Inrocks