À l'Ouest du Jourdain
Dans À l’ouest du Jourdain, Amos Gitai se rend à nouveau, 35 ans après Journal de Campagne en 1982, en Cisjordanie. La série de rencontres avec des organismes de Droits Humains tels que B’Tselem, Breaking the Silence, Forum des familles des victimes de violence et Ta’ayush nous montre une série d’actes de résistances fragiles qui rassemblent des activistes israéliens et palestiniens. Le film par lui-même est une recherche du chemin de la paix, une recherche de lumière au milieu d’une période sombre.
La vie d'Amos Gitai, citoyen et cinéaste, est marquée par la figure d'Yitzhak Rabin, le Premier ministre israélien assassiné par un extrémiste juif en novembre 1995. Quand l'ancien général héros de la guerre des Six jours devenu le défenseur d'un rapprochement avec les Palestiniens, accède au pouvoir en 1993, le réalisateur, en exil volontaire depuis près de dix ans, décide de rentrer au pays pour apporter sa pierre au projet de Rabin : un documentaire-fleuve au titre sans équivoque, Donnons une chance à la paix (1993). La mort du leader travailliste a brisé les espoirs d'une solution au conflit israélo-palestinien, et bouleversé Gitai, qui lui a consacré deux films forts : L'Arène du meurtre en 1996, et, l'an dernier, le docu-fiction Le Dernier Jour d'Yitzhak Rabin. Son nouveau documentaire, A l'Ouest du Jourdain, présenté à la Quinzaine des réalisateurs, salue ceux que Gitai appelle « les héritiers de Rabin » : les individus, civils mais aussi militaires, personnalités ou anonymes qui, en Israël, n'ont pas renoncé à la réconciliation avec les Palestiniens, alors même que la politique d'extrême droite du gouvernement Netanyahou ne cesse de la rendre chaque jour de plus en plus illusoire.
A rebours des expériences formelles souvent audacieuses (et ces dernières années, hélas, trop théoriques) de ses fictions, Gitai privilégie ici un dispositif d'ordre journalistique : le reportage sur le vif, complété par des interviews où le cinéaste est souvent présent à l'image. Les différentes étapes du voyage de Gitai en Cisjordanie sont reliées par les mêmes notes mélancoliques à la clarinette, en un leitmotiv entêtant. Le film n'est pas aussi percutant que Journal de campagne, déjà tourné dans les territoires occupés il y a trente-cinq ans. Il n'en est pas moins précieux par son point de vue sur la situation israélienne.
Hommage au civisme des individus
A l'Ouest du Jourdain est, d'abord, une dénonciation implacable des ravages de la colonisation. Pour les Palestiniens, comme pour Israël. Aujourd'hui (une école bédouine modèle est menacée de disparaître pour faire de la place aux nouveaux colons) et à long terme - un éditorialiste du quotidien Haaretz assure que l'idéal d'un Etat juif et démocratique, cher aux fondateurs d'Israël, sera sans doute mort dans dix ans.
Mais le film est aussi un hommage au civisme des individus face à l'incurie meurtrière des politiques. Gitai a participé aux réunions du Cercle des parents, une association de mères israéliennes et palestiniennes qui ont perdu des enfants à cause du conflit, et se consolent mutuellement - leurs paroles sont bouleversantes. Il a aussi pu assister à un cours de B'Tselem, une organisation de droits de l'homme qui aide les femmes palestiniennes à filmer les exactions dans les territoires occupés - et les images reccueillies sont, ici, révoltantes.
A l'Ouest du Jourdain souffle ainsi le chaud et le froid, entre optimisme malgré tout (la scène finale, une soirée où les deux communautés partagent leur amour de la musique orientale et... du backgammon !) et fatalisme : difficile de croire à la réconciliation quand on entend la jeune (et terrifiante) ministre déléguée aux Affaires étrangères, Tzipi Hotovely, étoile montante du parti conservateur, revendiquer face à Gitai son droit à occuper les terres palestiniennes « au nom de la religion et de l'histoire »...
Samuel Douhaire, Télérama