Des hommes et des dieux
Un monastère perché dans les montagnes du Maghreb, dans les années 1990. Huit moines chrétiens français vivent en harmonie avec leurs frères musulmans. Quand une équipe de travailleurs étrangers est massacrée par un groupe islamiste, la terreur s’installe dans la région. L'armée propose une protection aux moines, mais ceux-ci refusent. Doivent-ils partir ? Malgré les menaces grandissantes qui les entourent, la décision des moines de rester coûte que coûte, se concrétise jour après jour... Ce film s’inspire librement de la vie des Moines Cisterciens de Tibhirine en Algérie de 1993 jusqu’à leur enlèvement en 1996.
Magnifiquement éclairé - à la lumière naturelle, éclatante au dehors, chiche pour les intérieurs - par Caroline Champetier, Des hommes et des dieux rime sans cesse avec l'iconographie catholique. Clairs-obscurs qu'on croirait tirés de tableaux d'église, corps et visages qu'aurait pu peindre le Caravage : on songe très précisément à la scène où Luc, le moine-médecin, ausculte le doyen de la communauté, frère Amédée (joué avec humour et vivacité par Jacques Herlin), vieillard aux membres fragiles. Ces références picturales sacralisent les tâches banales, élèvent les personnages.
Les héros ont pourtant leurs faiblesses, qui les rendent encore plus vibrants. Des massacres ont lieu non loin, puis leurs auteurs, armés jusqu'aux dents, viennent chercher soins et médicaments au monastère. Les moines savent qu'ils peuvent être pris pour cible, et leur courage vacille. Leur décision, mûrement réfléchie, de demeurer au monastère malgré la mort promise, est le signe d'un engagement, moins auprès de Dieu qu'auprès de l'humanité tout entière. Il s'agit de ne pas abandonner ceux qui dépendent d'eux, de résister, fût-ce de façon dérisoire, à la barbarie.
Deux séquences superbes portent le film à son sommet : un chant choral lancé comme une réponse au bruit oppressant d'un hélicoptère, dont on ne sait trop s'il protège ou condamne les moines. Puis un repas pendant lequel les frères communient littéralement autour d'un enregistrement du Lac des cygnes. Les visages sont cadrés au plus près, ces inconnus deviennent nos frères. Remplacer les cantiques par du Tchaïkovski donne la clé d'une grâce profane, où l'art est vécu comme un sacrement. Des hommes et des dieux est le digne représentant de cette foi-là.
Aurélien Ferenczi, Télérama