Stalker
"Des entassements de ferraille, des passages abandonnés et délabrés aux allures d’égoûts de nulle part, au milieu d’une nature froide respirant à la fois la verdure et l’humidité : c’est la Zone de Stalker, une terre sans nom et glaçante mise sur pied par Tarkovski à partir d’une poignée de décors et d’accessoires, et dans laquelle on pénètre en tant que spectateur avec une certaine appréhension. C’est dans ce lieu que se déroule l’essentiel du film, qui présente un voyage initiatique dont on ne connaît vraiment ni les circonstances, ni les motivations. L’exploit de Tarkosvki est de procéder à une alchimie particulière en assemblant le plus d’éléments possibles autour du grand mystère du film et en les concentrant à l’écran pour tenter de capturer l’essence de ce mystère. Le résultat paradoxal est une “épreuve” cinématographique en extension, au rythme extrêmement long, sinueux, et par là mimétique de l’action : les personnages doivent parcourir une distance qui en réalité ne fait que quelques centaines de mètres, mais eux-mêmes sont obligés de prendre de nombreux détours, car la Zone fonctionne comme une série de pièges qui se renouvellent sans cesse et sans qu’on puisse les prévoir. On peut voir là l’une des réflexions favorites du cinéaste, celle portant sur l’expérience du temps, qui comme dans Le miroir constitue un flux continu et essentiel, mais difficilement contrôlable, entre les différents mouvements de notre existence. Il est donc question dans Stalker de se laisser initier, comme les personnages dans le film se laissent conduire par un passeur, qui se révèle l’homme le plus proche des vérités simples du coeur et de la nature."
-Camille Lugan, Avoir-alire