Mon Trésor
Ruthie et Or, une mère et sa fille de 17 ans, vivent dans un petit appartement à Tel-Aviv. Ruthie se prostitue depuis une vingtaine d'années. Or a déjà essayé plusieurs fois et sans succès de lui faire quitter la rue.
Le quotidien de Or est une succession sans fin de petits boulots : faire la plonge dans un restaurant, laver des cages d'escaliers, récupérer des bouteilles consignées, tout en allant au lycée quand elle le peut.
L'état de santé de Ruthie devient critique. Alors que sa mère sort d'un énième séjour à l'hôpital, Or décide que les choses doivent changer.
Y a-t-il en Israël un problème de la prostitution qui soit pire qu'ailleurs ? Sans doute pas, mais les cinéastes de ce pays ont l'audace rare de l'aborder sanstours de passe-passe.
Présenté à la Mostra de Venise, Terre promise d'Amos Gitaï s'interroge sur la déportation de jeunes filles russes par des souteneurs en territoire de l'émancipation hébraïque (sortie 12 janvier). Caméra d'or au Festival de Cannes, Keren Yedaya dénonce l'instrumentalisation du corps de la femme dans un contexte social où s'attise la différence des sexes : tous les hommes sont formés à être soldats, toutes les femmes amenées à devenir putes pour le repos du guerrier.
Propos violent, illustré par un beau film dur et noir, axé sur l'histoire de deux exploitées, mère et fille, qui vivent dans un petit appartement de Tel-Aviv.
L'aînée fait le trottoir depuis vingt ans. Elle sort de l'hôpital, mutilée, cassée. Sa fille essaie par tous les moyens de lui faire quitter la rue. En l'enfermant à clé dans le deux-pièces sordide où elle erre en slip entre les linges qui sèchent. En lui trouvant un job de femme de ménage.
Mais Ruthie agit en automate. Elle a le tapin dans le sang. Pis que résignée : consentante, heureuse de retrouver ses clients. Prisonnière d'un processus d'autodestruction, elle est incapable de s'occuper d'elle-même, encore moins de quelqu'un d'autre.
La fille, prénommée Or, passe moins de temps au lycée qu'à s'épuiser en petits boulots : faire la plonge dans un restaurant, laver des cages d'escalier. Elle est amoureuse d'un garçon qui la respecte, mais cataloguée peu recommandable. Suspecte d'avoirdes amours sexuelles trop libres.
Le rejet social la guette, la déchéance lui semble fatale, elle a conscience d'être pestiférée. Pour une cigarette, on peut la suivre au fond d'une ruelle et bénéficier d'une gâterie. Elle va prendre des habitudes de survie. Relever son tee-shirt et ôter son soutien-gorge chez le propriétaire pour payer le loyer. Se retrouver dans une agence de placement d'escort girls et sur le lit d'inconnus. Faire une croix sur l'homme qu'elle aime et adopter le métier de sa mère.
« Âme stérile »
Essentiellement tourné en plans-séquences, Mon trésor puise une bonne partie de sa force dans son approche documentaire et son refus du spectaculaire. La manière dont sont filmées les scènes de salle de bains dans ce film où suinte l'obsession de la propreté est révélatrice du regard de sa réalisatrice.
La fille prend sa douche après avoir teint les cheveux de sa mère, lors d'un plan où le naturel prend à la fois le pas sur la pudeur et le voyeurisme. La caméra descend dans le bac où le linge intime profite du savonnage du corps. Plus tard, la gamine déshabille sa mère ensanglantée et la lave dans sa baignoire en endossant le rôle inversé d'une pietà.
L'autre atout de cette chronique qui dépeint des destins pathétiques sans le moindre sentimentalisme est la prestation de cette comédienne qu'est Ronit Elkabetz, que l'on avait déjà vue dans Mariage tardif, de Dover Kosashivili, et dans Alila, d'Amos Gitaï, et que l'on reverra prochainement dans Prendre femme, qu'elle a elle-même réalisé (sortie 26 janvier).
Pour s'approprier le personnage de cette mère en perdition, elle s'est appliquée à transformer son corps afin qu'il devienne las, usé. « Je me suis délibérément négligée pendant environ un an. C'était essentiellement un processus mental, comme une sorte d'autoflagellation, mais qui a eu une conséquence physique aiguë : j'ai pris 6 kg. J'ai également cessé d'utiliser tout soin cosmétique ou de m'épiler. J'ai évité toute activité sportive. C'est ainsi que je me suis connectée à cette âme stérile. »
Mais son travail ne bénéficie pas seulement de sa transformation physique. La façon fiévreuse et speedée dont elle habite ce corps sans âme est la marque d'un très grand talent.
Jean-Luc Douin, Le Monde