Affreux, sales et méchants
Dans un bidonville à Rome, Giacinto règne en tyran sur sa nombreuse famille. Tous acceptent son autorité et sa mauvaise humeur, car le patriarche possède un magot que chacun espère lui voler. Chaque jour, il lui faut trouver de nouvelles cachettes et défendre son bien, fusil en main. Lorsqu'il décide d'installer sa concubine dans le baraquement, la révolte gronde...
L'un des meilleurs films d'Ettore Scola.
Les Inrockuptibles.
Ce film, irritant comme du poil à gratter, est un coup de poing à l'estomac, une brique envoyée à la face du pouvoir en place, responsable des bidonvilles. Derrière la "fable", derrière l'histoire de cette famille qui se déchire, on reconnaît la parabole. Et le message suivant, adressé à la bourgeoisie : ils sont affreux, sales et méchants, et c'est de votre faute.
Très controversé à sa sortie malgré son Prix de la Mise en Scène reçu en 1976 au Festival de Cannes, Affreux, sales et méchants fut un monumental bide commercial. Son titre même avait beaucoup été reproché à Ettore Scola. Accusé, à tort (…), d'avoir fait un film contre les pauvres, contre le prolétariat (on dirait aujourd'hui "politiquement incorrect"), Scola fut fustigé par les catholiques et par la Démocratie Chrétienne alors au pouvoir (non seulement le bidonville domine la basilique Saint Pierre de Rome mais on pense aussi à la scène du baptême, où Giacinto, ouvertement bigame, dit au prêtre «renoncer à Satan qui est l'auteur du péché », tandis que l'un de ses fils fracture en douce les caisses de l'église et qu'un gamin s'amuse à faire flotter un bateau dans le bénitier). Il le fut aussi par la gauche qui l'accusa de ne faire émerger à aucun moment l'idée de rébellion ou la conscience de classes. Contrairement à la vision idéalisée du pauvre que propose Vittorio de Sica dans Le Voleur de bicyclette ou dans Miracle à Milan, Scola, qui admire son aîné, préfère décrire la réalité d'une société à la fois victime et dépendante du système. Faire un film réaliste mais ni misérabiliste, ni militant et sans slogans paternalistes.
"On croit qu'il est de mauvais goût de rire de la misère, de la crasse, de la violence qu'engendre cette plaie", pouvait-on lire dans le journal L'Humanité en 1976. "Mais c'est un raisonnement de ventre-plein à mauvaise conscience. Devant l'étalage des bidonvilles, il y a une double attitude. L'une est charitable, chrétienne : il faut avoir pitié et donner aux pauvres gens. L'autre est quelque peu gauchiste, mais pas forcément éloignée de la première : il faut donner une conscience à ces victimes et les pousser à la révolte. Il y a pourtant une pensée intermédiaire et c'est celle qu'utilise Scola : aussi triste que soit leur situation, aussi douloureuse que puisse être leur angoisse, les "pauvres" n'ont aucune raison de ne pas savoir rire, de ne pas être roublards, méchants, sadiques, sans scrupules, exactement comme le sont les riches ! " (…) Engagé, férocement drôle, parfois tendre mais toujours impitoyable, Affreux, sales et méchants est un de ces films impossibles à oublier et qui se laissent voir et revoir, avec à chaque fois le plaisir d'une nouvelle découverte, un détail passé inaperçu lors d'un précédent visionnage. (…)
Carlotta Montay, DVDClassik