Amour fou
Un poète, Heinrich, est désespéré de devoir mourir inéluctablement et invite sa cousine, peu enthousiaste, à vaincre - selon ses dires - cette inéluctabilité en se suicidant avec lui par amour. La jeune épouse d'un ami, rongée par une maladie mortelle, décide de relever sa proposition.
Qui dit romantisme dit lyrisme à fleur de peau. Il est bien là, mais parfaitement corseté, dans Amour fou. Le poète Heinrich von Kleist, invité à dîner chez une amie, Henriette Vogel, paraît rigide, presque quelconque, au cours de cette soirée. Plus tard, on le retrouve en train de converser avec sa cousine. Le ton est alors fiévreux, plus conforme au stéréotype romantique. Heinrich dit sa blessure à vivre. Puis finit par lancer : « Voulez-vous mourir avec moi ? », comme s'il proposait du thé et des biscuits. La proposition est d'autant plus absurde qu'un peu plus tard, devant le refus poli et tendre de sa cousine, Heinrich la réitère à une autre. A savoir Henriette...
Distiller une dose d'humour sarcastique sous le vernis du tableau d'époque, tel est le but de Jessica Hausner, dont on avait beaucoup aimé Hôtel et Lourdes. Cette réalisatrice autrichienne ne manque pas d'aplomb, à narguer ainsi le mythe du romantisme allemand. Elle le fait en pointant justement le manque criant d'humour de Kleist, totalement égocentriste, obsédé par sa seule souffrance et ce qu'il en tire dans l'écriture. Le portrait qu'elle brosse de lui est cinglant. C'est moins vrai pour Henriette Vogel, à laquelle la réalisatrice s'attache le plus et qu'elle étudie de près, comme une entomologiste.
Elle paraît proche et si loin de nous à la fois, cette Henriette (Birte Schnöink, formidable de grâce mélancolique). Eteinte dans ses robes aux couleurs si vives, aux tissus si doux, confinée dans ces intérieurs aussi soignés qu'épurés, où même le chien semble un modèle de propreté. Henriette est une femme instruite, lucide, qui semble réaliser l'écart entre le monde extérieur en pleine ébullition révolutionnaire et son monde intérieur, où tout n'est qu'ordre et beauté, luxe, calme et... absence de volupté. Est-ce cela qui l'attire vers Heinrich ? Dans une scène, on le voit frapper à sa porte. Elle lui dit d'entrer, alors qu'elle est en train de se changer — on entraperçoit juste un éclair blanc de lingerie. C'est une invitation. Lui recule. Pauvre garçon, il aura beaucoup raté ! Son suicide compris, moment délicieusement grotesque.
Jacques Morice, Télérama