Suburra
La Suburra, quartier malfamé de Rome, est le théâtre d’un ambitieux projet immobilier. L’Etat, le Vatican et la Mafia sont impliqués. En sept jours, la mécanique va s’enrayer : la Suburra va sombrer, et renaître.
>> Article paru dans 20 min du 9 décembre 2015
Ce n’est pas un hasard si Suburra fait grandement penser à la mafia romaine décrite dans le film Romanzo Criminale. Les deux productions sont adaptées des romans éponymes de Giancarlo De Cataldo, homme politique italien également devenu écrivain et scénariste. L’ouvrage Suburra, a été coécrit en 2013 avec Carlo Bonini, qui pour sa part fut écrivain et scénariste des films L’ange du mal, puis A.C.A.B également réalisé par Stefano Sollima. Le metteur en scène italien poursuit avec force et réalisme son incursion dans le milieu de la pègre, entamée par la réalisation des séries TV Romanzo Criminale et Gomorra.
J-7 avant « l’apocalypse ». Sous la forme d’un énigmatique compte à rebours, le réalisateur nous montre une Rome telle une pieuvre aux tentacules aussi inévitables que destructrices. Une semaine durant laquelle la capitale est au bord d’un effondrement politique, religieux, économique et sociétal. On navigue ici à travers les différentes strates de la société, à la manière d’un film choral. Le monde de la nuit, la mafia, le gouvernement ou encore l’Eglise s’entrecroisent dans les méandres d’un gigantesque empire du crime.
On arpente avec curiosité et crainte les coulisses de chaque univers, liés par une corruption généralisée, où le chantage, les menaces et les crimes régissent le fonctionnement. Chaque personnage essaye de se faire sa place en poursuivant ses intérêts : argent, pouvoir, reconnaissance, femmes … Stefano Sollima ne fait pas ici une apologie de la violence. Bien au contraire, il fustige les faits commis par les principaux acteurs. Ceux-ci, vivant en dehors des lois, sont inévitablement rattrapés par la réalité des faits et les conséquences de leurs actes.
Visuellement, Suburra ne sort pas du schéma propre au genre. Cela ne lui dessert pas pour autant. La photographie bien calibrée de Paolo Carnera remplit pleinement son contrat en nous plongeant dans une atmosphère urbaine et menaçante. Dès la tombée de la nuit, les néons de la ville viennent symboliquement éclairer une société peu reluisante. La pluie presque omniprésente s’abat sur tous les êtres sans exception. Sa connotation n’est pas de nettoyer la ville de ses péchés mais de souligner un monde oppressant, décadent et pourri de l’intérieur.
La musique, quant à elle, ancre Suburra dans une certaine modernité. La bande-originale se compose majoritairement de tracks du groupe d’électro/post-rock français M83. L’association s’avère judicieuse, tant les sonorités sont à la fois cinématiques et imprégnantes. Cela participe grandement à l’ambiance du film, aussi bien pour décrire le magnétisme du monde de la nuit, que pour esthétiser des moments plus dramatiques.
A l’inverse d’une grande partie de films sur la pègre, les personnages ne virent jamais au cliché. Cela est dû à un scénario millimétré mais aussi à l’interprétation toujours juste des acteurs tels que Pierfrancesco Favino (Romanzo Criminale) ou Alessandro Borghi. Tantôt imprévisibles, vulnérables, glaçants, ou empreints de lâcheté, ils sont ici happés par l’enchaînement des péripéties et subissent leur destin respectif sous le joug du cercle interminable de la criminalité. La violence ne fait qu’engendrer davantage de violence, et les personnages récoltent ce qu’ils ont semé. En ce sens, le film fourmille de subtiles scènes symboliques et allégoriques. La possibilité d’une renonciation du pape, sur laquelle débute le film présage métaphoriquement une perte des croyances face à un monde qui se veut de plus en plus décadent. Subura séduit donc par son approche sans les habituels strass et paillettes ou la classique ascension dans la hiérarchie du pouvoir, caractéristiques des films sur la mafia.
Sébastien Uguen, A voir à lire